vendredi 19 janvier 2018

Énergivore, polluant et favorisant une industrie peu rémunératrice pour les ouvriers en bout de chaîne, notre modèle de consommation a montré ses limites. Le consommateur, bousculé dans ses certitudes, prend alors conscience qu’un comportement responsable est nécessaire dans une société en transition. Mais quelle alternative s’offre à lui ?

[DOSSIER CONSOMMATION 1/3] LE DILEMME DU CONSOMMATEUR
Publié le 19/01/2018
Par Anne-Sophie Balle
Énergivore, polluant et favorisant une industrie peu rémunératrice pour les ouvriers en bout de chaîne, notre modèle de consommation a montré ses limites. Le consommateur, bousculé dans ses certitudes,  prend alors conscience qu’un comportement responsable est nécessaire dans une société en transition. Mais quelle alternative s’offre à lui ?
https://www.cfdt.fr/upload/docs/image/jpeg/2017-12/header_une_saif.jpg.associated/th-670x670-header_une_saif.jpg.jpg
Offrir à Noël des jouets qui n’ont pas été fabriqués par des enfants à l’autre bout du monde ; acheter des meubles sans provoquer la disparition des forêts tropicales ; se chauffer sans aggraver l’effet de serre… Aujourd’hui, consommer ne peut plus être un acte anodin, et le choix d’un produit plutôt qu’un autre s’apparente plus à une démarche de responsabilisation. Une situation qui peut être inconfortable pour les consommateurs que nous sommes, pris dans un étau entre les injonctions des marques et hypermarchés, d’une part, et les militants du développement durable, d’autre part.
À l’heure où ce que nous achetons contribue plus que jamais à construire notre identité sociale, comment trouver une manière de consommer qui allie liberté de choix et réflexion citoyenne ? Faut-il se tourner vers la décroissance, qui préconise de réduire progressivement la production mondiale en passant par une réduction volontaire des achats, ou faut-il contraindre l’offre des produits non responsables (en taxant davantage les produits les plus nocifs pour la santé et l’environnement, par exemple) au risque de pénaliser les consommateurs les plus pauvres ? La question est posée. La réponse, elle, ne va pas de soi.
La conso bio est en hausse, la conso traditionnelle aussi…
« Aujourd’hui, il est impossible de parler de consommateur au singulier. La crise a donné une nouvelle résonance aux critiques du modèle de l’hyperconsommation perceptibles depuis le début des années 2000, avec une prise de conscience croissante des enjeux écologiques. Mais si la consommation responsable continue de progresser, elle ne s’efface pas devant la volonté de consommer tout court », résume Philippe Moati, économiste spécialiste des comportements de consommation. Le baromètre de la consommation responsable, mené par GreenFlex en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie,
analyse depuis dix ans les attentes des Français en la matière.
Capture d’écran 2017-12-20 à 12.48.06L’édition 2017 pointe le succès de l’agriculture biologique et du commerce équitable (voir les chiffres ci-contre), ce qui laisserait penser que les consom­mateurs sont de plus en plus attentifs aux enjeux de fabrication des produits qu’ils achètent. Près de 53 % des Français assimilent d’ailleurs l’expression « consommation responsable » au fait d’acheter des produits écolabellisés, certifiés éthiques, locaux ou encore moins polluants. Dans les faits, 27 % ne souhaitent pas changer leurs habitudes de consommation.
Et pour ceux qui acceptent de modifier leurs comportements, « ces changements sont motivés par des raisons financières et égocentrées. Au fond, les consommateurs sont réticents à changer leurs habitudes si cela impacte trop leur confort ou leur porte-monnaie », poursuit Philippe Moati. En revanche, ils sont prêts à refuser d’acheter un produit ou une marque pour des raisons citoyennes ou morales. En témoigne le récent appel au boycott des produits Carrefour, à la suite de la diffusion de l’émission de télévision Cash Investigation, qui dévoilait le recours au travail des enfants dans la confection de sa marque d’habillement Tex.
Des Français en quête de sens
Ces éléments de contexte expliquent en partie le succès croissant de nouveaux modèles de consommation. Un peu partout, des initiatives dites alternatives essaiment : Amap, recycleries, supermarchés collaboratifs (lire Dossier consommation 2/3). Faut-il alors voir dans ce nouvel essor un simple effet de mode u une vraie tendance de fond ? Pour l’Obsoco (Observatoire société et consommation), « les pratiques de consommation émergentes se sont développées sur un terreau fertile »Le contexte économique déprimé, qui pèse depuis une dizaine d’années sur le pouvoir d’achat des ménages, a incité nombre de citoyens à explorer de nouveaux moyens de consommer. « Surtout, un climat de défiance s’est durablement installé entre les consommateurs et les marques et enseignes traditionnelles. Ce climat a inévitablement contribué au développement d’une aspiration à consommer mieux, partagée par un Français sur deux. » Un engouement très souvent sous-tendu par le désir de donner du sens aux actes de consommation : retrouver un lien social authentique, faire un geste pour son quartier ou sa région, soutenir les petits producteurs…
Aujourd’hui, on estime à 60 % la part de la population concernée de près ou de loin par l’économie collaborative. Si ce taux relativement élevé est encourageant, « il faut se méfier des effets de loupe et de ce qu’ils produisent, estime Philippe Moati. Certaines initiatives resteront limitées à un cercle de militants, quand d’autres prendront le pas. Tout dépend de notre capacité collective à les faire évoluer dans le bon sens, pour ne pas risquer que des idées altruistes à l’origine – le couchsurfing, par exemple, qui consistait à offrir le gîte à un voyageur pour un modèle de tourisme plus social – ne finissent par susciter les velléités marchandes, comme l’illustre parfaitement la plateforme en ligne Airbnb ». Dans ce contexte, il serait dangereux de faire peser sur les seuls consommateurs le poids de la transition vers des modes de consommation plus responsables.
Au-delà de leur démarche individuelle, les consommateurs veulent désormais que chaque acteur de la société assume sa part dans ce nouvel écosystème. Et si les marques et les entreprises sont particulièrement attendues quant à leur capacité à ajuster leur modèle aux nouvelles attentes de leurs clients, les structures collectives (comité d’entreprise, collectivités locales…) peuvent également, par des initiatives citoyennes, contribuer à opérer ce changement. 



Le grand flou de la labellisation
Cafe Andia 33384Impossible d’y échapper. Depuis quelques années, les labels prolifèrent dans les rayons, au point de donner le tournis aux consommateurs les plus aguerris. Car tous les labels ne se valent pas, et les écolabels publics (Agriculture Biologique) ne sont pas nécessairement plus stricts que les privés (Max Havelaar).
« C’est au consommateur d’être exigeant et de vérifier le cahier des charges, dont certains critères peuvent totalement modifier l’équilibre économique de la filière », résume le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Le label AB a ainsi ouvert la voie du bio industriel et supplanté les labels historiques comme Nature & Progrès en supprimant de son cahier des charges les clauses portant sur la taille de l’exploitation.
Avant de faire son choix, le consommateur doit donc avoir en tête les limites de cette « promesse éthique » qu’offrent les labels. L’impossibilité pour ces derniers d’inclure dans leur cahier des charges le respect de critères sociaux ou environnementaux dans l’ensemble de la filière d’approvisionnement, d’une part. Et, d’autre part, le manque d’informations qui permettraient au consommateur de distinguer la labellisation des produits de la certification des marques. Les labels ne s’appliquent en effet qu’à un produit spécifique et ne garantissent pas la qualité de la marque dans sa globalité ni celle du distributeur du produit.  












©Photo Saif
POUR ALLER PLUS LOIN
[DOSSIER CONSOMMATION 2/3] INITIATIVES CITOYENNES
Publié le 19/01/2018
Par Anne-Sophie Balle et Claire Nillus
Nombreuses sont les personnes qui n’ont pas attendu les géants de l’industrie pour s’engager dans un autre mode de consommation. Réparer et revendre de l’électroménager, se constituer en supermarché collaboratif ou se lancer des défis collectifs afin d’économiser l’énergie : les actions touchent tous les secteurs. Reportages.
https://www.cfdt.fr/upload/docs/image/jpeg/2017-12/header_initiatives.jpg.associated/th-670x670-header_initiatives.jpg.jpg
Économie circulaire : donner un sens à sa consommation
Envie VJarousseau PDLL2017Un frigo à 150 euros, un lave-linge à 129 euros ou encore un micro-ondes à 59 euros… La boutique Envie 44, située à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), est une mine d’or pour tout consommateur qui voudrait s’équiper sans se ruiner. Élise et Sandro sont venus y acheter leur toute première gazinière. « C’est ma mère qui m’a donné le tuyau. Pour 80 euros, c’est une affaire », se réjouit Élise.

Si l’attrait du prix était leur motivation première, l’idée d’offrir une seconde vie aux objets et de contribuer à l’emploi de personnes en difficulté a aussi suscité l’intérêt de ce jeune couple. « En venant ici, on a l’impression de faire quelque chose d’utile socialement à notre petite échelle. » Développement économique, insertion professionnelle et protection de l’environnement sont les trois piliers de cette entreprise d’insertion pas comme les autres. Ici, comme dans les 45 structures du réseau Envie implantées sur le territoire, on vend de l’électroménager rénové et garanti à moitié prix, service après-vente et livraison compris. Avant d’être proposés en magasin, les équipements électroménagers sont collectés, diagnostiqués et réparés sur place par une centaine de salariés, dont les deux tiers sont en contrat d’insertion.
“Ici, on apprécie d’abord l’humain”
Embauché il y a cinq mois, Rémi réapprend à vivre et à travailler avec les autres après des années de prison. « Le parcours proposé nous permet d’acquérir de solides compétences, de travailler en équipe et de prendre des responsabilités dans un cadre privilégié, explique cet ancien ingénieur. Beaucoup d’entreprises ont perdu de vue l’importance des contacts humains et ne permettent pas à leurs clients d’obtenir facilement les conseils, l’aide et les services dont ils ont besoin. Ici, c’est l’inverse, on apprécie d’abord l’humain, que ce soit dans la relation aux salariés ou dans celle aux consommateurs. » Symbole d’une économie circulaire souvent évoquée mais rarement mise en pratique, le réseau Envie doit régulièrement diversifier sa gamme de services afin de répondre aux aspirations des consommateurs.
Mais l’esprit solidaire n’est jamais très loin. Un service de réparation d’électroménager destiné aux particuliers a récemment vu le jour à Saint-Herblain, avec des ateliers proposés sur place et des opérations mobiles. « Cela va du conseil technique pour ceux qui passent au camion itinérant à la réfection, pour laquelle nous utilisons des pièces détachées d’occasion issues d’anciens appareils, explique Dominique Fièvre, directeur d’Envie 44. D’ici à l’année prochaine, nous espérons pouvoir collecter et remettre en circulation du matériel médical pour les personnes en perte d’autonomie et dont le coût restant à charge est parfois très élevé. » De quoi permettre l’embauche de salariés supplémentaires, tout en contribuant à développer l’idée d’une consommation plus raisonnée et responsable. En 2016, 94 000 appareils ont été rénovés, soit 4 000 tonnes de déchets évités, et 2100 contrats d’insertion signés.         
© Photo Vincent Jarousseau


Supermarché participatif :
La Louve et ses louveteaux
IllustrationLouveDébut novembre, La Louve fêtait son premier anniversaire. Ce supermarché, installé rue des Poissonniers, à Paris, est inspiré du modèle de Park Slope Food Coop, à New York. Il se veut une alternative à la grande distribution grâce à un concept innovant de supermarché collaboratif géré par ses membres et pour ses membres. Quand la plupart se contentent d’une répartition de capital, La Louve repose avant tout sur l’engagement et le bénévolat de ses « consom’acteurs ». C’est ce qui a convaincu Frédéric de sauter le pas début 2017. Pour pouvoir faire ses courses, il a acheté dix parts (l’équivalent de 100 euros). Il donne surtout un peu de son temps, trois heures par mois, afin d’aider à la mise en rayon, à l’étiquetage des produits ou encore à la caisse… « Ici, tout le monde est logé à la même enseigne et participe à la bonne marche du lieu, aux côtés des quelques salariés embauchés à temps plein. »
Acteur de sa propre consommation
Un an plus tard, il dit avoir enfin trouvé le moyen de devenir acteur de sa propre consommation. « Cette initiative nous interpelle sur la notion de bien commun, que notre société a tendance à laisser de côté et qui est pourtant indispensable à notre équilibre, qu’il soit alimentaire, social ou économique. » Même les plus sceptiques en apparence finissent par se laisser tenter par l’aventure collaborative. Quand La Louve s’est implantée dans le quartier, Françoise ne voyait pas d’un bon œil ce qu’elle considérait comme « une remise en cause du modèle salarial classique où, au final, les clients travaillent pour faire baisser la note. Avant de revoir son jugement. En discutant du projet avec d’autres, j’ai compris qu’à l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement, cela permettait aussi à des petits producteurs de vendre leurs produits et de mieux vivre. L’un dans l’autre, tout le monde s’y retrouve, et cela crée du lien social ». Nés de la dynamique parisienne, des projets similaires ont vu le jour à Bordeaux, Montpellier, Bayonne, Toulouse, Lille ou encore Biarritz. Des centaines de citoyens se regroupent pour donner vie à ces nouvelles coopératives de consommateurs.          
© Photo La Louve


“ApéroWatts”:
Réduire sa consommation d’énergie
Se lancer un défi en famille pour réduire sa consommation énergétique et faire baisser la facture annuelle de chauffage, d’eau et d’électricité : c’est ce que propose le réseau pour la transition énergétique Cler, depuis 2008, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et les collectivités locales. « Le défi “Familles à énergie positive” permet de réaliser au moins 8% d’économies sur la facture annuelle des ménages (soit près de 200 euros) et jusqu’à 30% dans certains cas. En Alsace, les familles sont à moins 15 % en moyenne à la fin de l’opération », précise Richard Lemoine, coordinateur du dispositif pour le Grand-Est. « Juste avec des écogestes ! », souligne-t-il.
Petits gestes, grandes économies
Pour participer, il faut d’abord s’inscrire en ligne sur le site de sa région*. Sans le moindre investissement, les personnes ont simplement à repenser leurs pratiques en fonction de leur habitat et réfléchir à leurs habitudes de consommation avec un coach, qui encadre plusieurs familles et les conseille tout au long du « défi », de début décembre à fin avril : installer des rideaux épais en plus des volets à toutes les fenêtres des pièces, régler la température du chauffe-eau entre 55 et 60 °C, vérifier la température du réfrigérateur, utiliser le plus souvent des cycles courts à basse température pour le lave-linge…
« Quand l’opération a débuté en Alsace il y a cinq ans, nous avions 70 inscrits, poursuit Richard Lemoine. Cette année, plus de 300 familles ont participé à la journée de lancement, le 2 décembre dernier. Nous avons inscrit une rue entière ! » Sorties, rencontres, groupes de travail, soirées « Tupperwatt » : à chaque équipe de trouver des moyens de se mobiliser tout au long de l’hiver jusqu’au relevé des compteurs à la fin avril et la remise des prix aux trois meilleures.
Dans tout l’Hexagone, 30 000 comptes ont été créés entre 2008 et 2015. L’opération, qui était proposée initialement aux familles, est maintenant testée par des entreprises et des collectivités locales.      
POUR ALLER PLUS LOIN
[DOSSIER CONSOMMATION 3/3] CONSOMMER RESPONSABLE, À QUOI ÇA SERT?
Publié le 19/01/2018
Par Anne-Sophie Balle et Claire Nillus
Gaspillage alimentaire, vestimentaire, énergétique…  Est-ce utile de vouloir adopter un comportement responsable si le modèle économique que l’on nous propose ne l’est pas ?
https://www.cfdt.fr/upload/docs/image/jpeg/2017-12/header_20_21_abaca.jpg.associated/th-670x670-header_20_21_abaca.jpg.jpg
En 2017, les États-Unis, deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, se retirent de l’accord de Paris sur le climat ; le transport est toujours dépendant des énergies fossiles à 98 % ; des milliers de kilos de polluants industriels sont déversés chaque seconde dans les océans et les travailleurs du textile, au Bangladesh, sont encore les moins bien payés au monde.
Que faire lorsque l’industrie du textile, la troisième plus polluante du monde, se développe en dépit du bon sens ? que les grandes chaînes de prêt-à-porter renouvellent leurs collections jusqu’à deux fois par semaine, générant un énorme gaspillage et que, faute de pouvoir être recyclés, des millions de tonnes de vêtements finissent… à la décharge ? Que faire, enfin, tant que la communauté internationale ne sanctionne pas les pays ayant recours au travail forcé ou au travail des enfants ? Le business model des grandes marques génère un marché low cost qu’elles entretiennent en proposant des métiers peu qualifiés et des bas salaires. Sachant que le travailleur est aussi l’acheteur à qui l’on propose des produits à bas coûts fabriqués dans des conditions dont il ignore presque tout, il y a de quoi décourager, légitimement, le plus citoyen d’entre nous au moment de trier ses déchets, d’économiser l’eau ou d’acheter des tee-shirts en coton bio.
“Faire savoir que l’on sait, c’est le premier niveau de la mobilisation”




Divergence NAjaltouniNayla Ajaltouni
“Ça marche si on est nombreux”
Coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette (dont la CFDT est partenaire), qui milite pour la responsabilité sociale des entreprises et un salaire décent dans l’industrie de l’habillement.
Quel est le pouvoir réel du consommateur face à la stratégie commerciale des multinationales  ?
Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas savoir… Se méfier des petits prix, s’informer, relayer l’information, soutenir nos campagnes sont des leviers accessibles. Et c’est déjà beaucoup ! Les entreprises seront obligées de changer leurs pratiques, de mettre en place un salaire vital et de respecter les droits humains si la mobilisation citoyenne les met au pied du mur. Les grandes enseignes ont un talon d’Achille : leur image.
Comment percevez-vous la mobilisation citoyenne actuellement ?
 Nous pensions qu’après 2013 et le Rana Plaza, la mobilisation s’essoufflerait. Ce n’est pas le cas. Nous touchons maintenant beaucoup plus de gens grâce aux réseaux sociaux, blogs, sites, actions de rue, pétitions… On ne fait pas de lobbying en tant que tel sur les réseaux sociaux mais nous diffusons toutes nos campagnes, positions et tribunes… Parmi celles-ci, la campagne #Soldées, conçue pour être spécifiquement visible sur les réseaux, a eu quelques répercussions. Ça marche si on est nombreux.
À la suite de vos interpellations répétées, des entreprises jouent-elles le jeu ?
Il est difficile de distribuer des bons et des mauvais points car certains critères sont transparents et d’autres pas du tout… Nous avons réussi à interpeller les grandes chaînes suite à notre action contre le sablage des jeans, en écrivant directement aux marques, en plus des actions de rue, des vidéos et de la campagne en ligne. Depuis, certaines sociétés ont accepté de dialoguer avec nous.
        Propos recueillis par cnillus@cfdt.fr






 ©Photo Divergence



Pour Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette (lire l’interview ci-contre) : « S’engager, c’est déjà faire savoir que l’on sait ! C’est le premier niveau de la mobilisation. La mobilisation citoyenne et l’action collective s’additionnent pour promouvoir un nouveau modèle de développement. » De plus en plus de mouvements citoyens de grande ampleur voient ainsi le jour sur internet, où des centaines de millions de personnes lancent des campagnes pour remporter des victoires locales, nationales ou mondiales.
Parmi les « victoires de l’indignation », en avril  2015, la campagne citoyenne d’Avaaz a collecté un million de signatures afin de contraindre la marque Benetton à souscrire au fonds d’indemnisation mis en place à la suite de la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh – cet immeuble où des milliers d’ouvriers du textile travaillaient pour des marques de vêtements occidentales et qui s’est effondré le 24 avril 2013.
Ce mouvement a créé un précédent pour les multinationales, qui craignent davantage pour leur image que par le passé. Les grandes marques de prêt-à-porter ont bien senti que les consommateurs se posaient des questions sur l’origine des produits et leur impact sociétal et environnemental. S’il n’y a pas encore de traduction dans les achats, la petite musique de ce questionnement généralisé commence à se faire entendre car les marques n’ont jamais autant cherché à communiquer sur leur responsabilité sociétale et environnementale.
C’est sous la pression publique que la marque H&M, emblème de la fast fashion (mode jetable), a signé un accord-cadre mondial en 2013 qui vise à protéger les ouvriers du textile travaillant indirectement pour la marque. L’entreprise a rendu publique la liste de ses fournisseurs, mais seulement ceux de rang 1*, et propose à ses clients le recyclage de leurs vêtements (une opération qui ne concerne qu’une infime partie de sa production). Vérifier l’application locale de ces accords mondiaux, qui contiennent des mesures de suivi, suppose une présence syndicale sur le terrain, ce qui n’est pas toléré partout. Si tout n’est pas réglé, les multinationales sont observées à la loupe citoyenne et ne peuvent plus tout se permettre.
La démarche RSE
« Si le secteur du textile est totalement mondialisé et très compliqué sur les questions d’éthique, ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi », affirme Grégoire Guyon, responsable de la communication d’Armor-Lux. L’entreprise de 550 salariés basée à Quimper a choisi de mettre en place une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises) dès 2003 comme levier de développement.
En 2011, elle était la seule entreprise de textile française certifiée d’après la norme Afnor NF ISO 26 000, qui constitue le premier standard international en matière de responsabilité sociétale et intègre les recommandations émises par plusieurs institutions (dont l’ONU, l’OIT, l’Union européenne et l’OCDE) en vue de la défense des droits humains et de l’environnement.
« Aujourd’hui, nous savons que c’était le bon choix. Car la plupart de nos grands comptes (qui représentent 40 % de notre chiffre d’affaires), dont la SNCF ou La Poste, veulent des produits fabriqués dans des conditions responsables : des produits de qualité, des fournisseurs évalués régulièrement, un outil de production conservé en France, des emplois sauvés. Et en toute transparence : notre usine est ouverte à tous et nous recevons 30 000 visiteurs par an. »
Si certaines entreprises ont pleinement conscience des bienfaits d’une stratégie commerciale vertueuse, les salariés et leurs élus ont aussi un rôle à jouer. D’ailleurs, historiquement, « les comités d’entreprise ont été créés pour mettre en œuvre des actions solidaires, rappelle Mickaëlle Hameon, chargée des relations aux adhérents de Cezam en Bretagne, convaincue « que l’action du CE ne doit pas se résumer à distribuer des chèques cadeaux en fin d’année et qu’il doit défendre des valeurs, recréer du sens et du lien social, dans l’entreprise et à l’extérieur  ».
Au sein du réseau Cezam, elle fait la promotion d’« actions citoyennes et solidaires » en impliquant les élus des comités d’entreprise : achats responsables, voyages solidaires, collecte auprès des salariés au bénéfice d’une ressourcerie, vente de places de spectacle au bénéfice du Secours populaire… Avec quelque 600 adhérents du réseau qui représentent 75 000 salariés dans la région, la démarche sociale des comités d’entreprise a un réel impact.
Les comités d’entreprise ont un rôle à jouer
Les comités d’entreprise ont aussi la possibilité d’entreprendre des actions de lutte contre l’exclusion : depuis la loi du 17 juillet 2001, ceux qui disposent d’un « reliquat budgétaire » peuvent verser des subventions plafonnées à 1% de leur budget « activités sociales et culturelles » à des associations à caractère humanitaire reconnues d’utilité publique. Sur 30 000 comités d’entreprise, quelques centaines sont actuellement engagés dans des actions citoyennes. « Les élus sont un peu frileux au départ quand nous leur présentons nos actions. Mais l’implication des salariés montre que la marge de progrès est considérable », conclut Mickaëlle.   



* Un sous-traitant s’engage à produire pour une entreprise (donneuse d’ordre). Si ce sous-traitant fait lui-même appel à une autre entreprise pour lui confier une partie de la fabrication du produit qu’il doit fournir à l’entreprise donneuse d’ordre, il est désigné comme le sous-traitant de rang 1 (puisqu’il fait appel à un sous-traitant dit de rang 2…).
© Photo LeveneDavid/Eyevine/Abaca




Une première mondiale : la loi française sur le devoir de vigilance
De la révolte à l’acte juridique, c’est incontestablement une bataille commencée aux côtés de la société civile.Fruit d’un lobbying intensif, la loi française sur le devoir de vigilance des multinationales a vu le jour grâce à l’alliance des ONG, des syndicats et des parlementaires qui l’ont soutenue pendant quatre ans. Elle crée une obligation juridiquement contraignante pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre : elle leur demande d’identifier les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement et de prendre des mesures pour les atténuer. Dès 2018, elles devront produire des plans de vigilance annuels rendus publics. Cette cartographie des risques doit couvrir leurs activités propres comme celles des sociétés qu’elles contrôlent, des activités de leurs sous-traitants et de tous les fournisseurs avec qui elles entretiennent une relation commerciale, en France comme à l’étranger. Elles sont désormais tenues de prévenir des risques de toute nature : droits humains, libertés fondamentales, santé et sécurité des personnes et environnement. 
La loi concerne tous les secteurs d’activité. Elle est applicable depuis son entrée en vigueur, le 27 mars 2017. Les premiers plans de vigilance devront être publiés dès cette année. Mais seules 150 entreprises sont concernées en France : les plus grandes qui emploient au moins 5 000 salariés dans l’Hexagone ou au moins 10 000 salariés en France et à l’étranger. 











POUR ALLER PLUS LOIN
·          
a
·          


Aucun commentaire: