jeudi 25 août 2016

Eléments d'enquêtes de l'Ifrap sur l'absentéisme des fonctionnaires repris -sans trop d'esprit d'analyse critique- par le Point : toujours aussi "objectifs " et "pertinents" ...or En moyenne sur la période 2003-2011 [sur une semaine de référence], la proportion de salariés absents est de 3,9% parmi les titulaires de la fonction publique, 3,7 % parmi les salariés du privé disposant d’un CDI depuis plus d’un an

Absentéisme : Le Point tape (encore) sur les fonctionnaires… et pas toujours avec nuance !

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Porte manteaux en collectivité Porte manteaux collectivité © Phovoir
Dans un article publié sur son site web, Le Point stigmatise les fonctionnaires territoriaux. Reprenant les éléments d'enquêtes de l'Ifrap, l'hebdomadaire tacle les "absences répétées" des fonctionnaires, notamment celles des titulaires, comparés aux contractuels. Reste que les données du think tank libéral ne reflètent qu'une vérité partielle qui ne permet pas de prendre en compte la complexité du problème de l'absentéisme dans la FPT.

Dans un article intitulé « Cette étrange maladie des fonctionnaires… » paru le 19 août, Le Point décortique l’enquête de l’Ifrap sur l’absentéisme dans les 50 plus grandes villes de France, rendue public en mai, et « basée sur l’étude de leurs bilans sociaux de 2013 ».
L’auteur de l’article affirme ainsi :
Les fonctionnaires statutaires y sont absents deux fois et demie plus souvent que les agents contractuels. Voici le palmarès des 10 premières villes pour ce qui les concerne : Amiens (49,3 jours d’absence en moyenne), Montreuil (45,7 jours), Toulon (45), Argenteuil (39,5), Grenoble (38,9), Lille (37,3), Toulouse (35,9), Avignon (35,7), Créteil (33,1) et Saint-Étienne (32,1), soit une moyenne générale de 39,2 jours d’absence pour toutes causes, maladie ordinaire, parentalité ou autres. Dans ces dix mêmes villes, les agents non fonctionnaires ne s’absentent que 16,9 jours, soit 2,3 fois moins [...] L’Ifrap précise par ailleurs dans son enquête que certaines villes comme Le Mans ou Angers ont refusé de communiquer leurs bilans sociaux, et que certaines autres comme Rouen, Brest ou Paris ont transmis des éléments non exploitables (exprès ?), tandis que Montpellier, Dijon, Boulogne-Billancourt et Caen ont retourné leur dossier hors délais. Concernant Le Mans et Angers, leur refus signifie clairement qu’on y a des choses à cacher. »
Au printemps, La Gazette avait décrypté cette enquête « à charge » du  think tank libéral, qui était déjà largement relayée  dans la presse. Et si l’absentéisme demeure effectivement un problème dans la fonction publique, il s’avère que les chiffres avancés par l’Ifrap semblent néanmoins délibérément « gonflés », faisant apparaître une vision quelque peu déformée de la réalité de la fonction publique territoriale aujourd’hui.

Les mauvais comptes de l’Ifrap

En préambule de son article « Absentéisme : les fonctionnaires territoriaux ne sont pas des fainéants », La Gazette notait ainsi d’emblée qu’une note de bas de page de l’étude de l’Ifrap pouvait créer un doute quant aux résultats obtenus par l’institut, qui aurait visiblement eu du mal à comparer l’incomparable :
 Les résultats ne sont pas toujours exprimés en jours d’absences mais en taux d’absentéisme soit global, soit par cause [...] Il n’est pas toujours possible de reconstituer les valeurs en jours afin que la comparaison soit possible entre les différents formats.
Par ailleurs, l’Ifrap a décidé de travailler pour son enquête sur les absences « toutes causes »,  incluant donc la parentalité. Un choix qui biaise la grille d’analyse, puisque les arrêts longs de maternité - inhérents à toute entreprise qui embauche des femmes (les femmes sont d’ailleurs sur-représentées dans la FPT) - sont ici mélangés avec les autres types d’arrêts (maladie ou accident du travail) qui peuvent être longs, courts, voire « de confort ». Ce sont évidemment ces derniers qui doivent être recherchés.
Ainsi, dans le classement établi par l’Ifrap, Amiens caracole en tête avec 39,94 jours d’absence par agent et par an. Joint par la Gazette, le DGS de la ville et d’Amiens métropole conteste ces chiffres. S’il reconnaît des absences plus nombreuses dans sa collectivité que la moyenne nationale, il estime que pour atteindre ce nombre frôlant les 40 jours « les jours de congés et de week-end n’ont pas été retranchés » !
Ce qui pose plus largement le problème de la définition de l’absence et le manque de référentiel commun pour les organismes chargés de la chiffrer. Comme le précisait La Gazette, les collectivités ont tendance à comptabiliser les absences en jours calendaires – même si cela est moins précis – « faute de pouvoir opérer une distinction entre jours ouvrés et ouvrables au sein des arrêts, et faute de pouvoir comptabiliser de manière précise le nombre de jours ouvrés des agents permanents ».
Ce qui n’empêche pas Le Point d’expliquer sans ambages : « Si l’on compte bien, nos fonctionnaires municipaux bénéficieraient donc dans ces villes de 8 semaines d’absence par an environ, venant s’ajouter à leurs 5, 6 ou 7 semaines de vacances légales ou officieuses, ce qui est évidemment scandaleux. »
Avant d’enchaîner sur une comparaison avec le secteur privé, très « instructive » : « Dans le privé, selon les données d’Alma Consulting, ces absences sont de 16,7 jours, à égalité avec les 16,9 jours des contractuels, soit un gouffre avec les fonctionnaires totalement injustifié, l’un des pires scandales de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique ». Dont acte.

Salariés du public versus salariés du privé

Pourtant, dans une étude parue en 2013 et portant sur la période 2003-2011, la Dares - le service statistique du ministère de l’Emploi - apportait un éclairage différent de celui du groupe Ayming (fusion entre Alma Consulting Group et Lowendalmasaï spécialiste en business performance) sur les absences dans le secteur privé et public.
En moyenne sur la période 2003-2011 [sur une semaine de référence], la proportion de salariés absents est de 3,9% parmi les titulaires de la fonction publique, 3,7 % parmi les salariés disposant d’un CDI depuis plus d’un an
Le Monde, dans sa partie blog animé par le journaliste Jean-Baptiste Chastang,se faisait justement l’écho de cette étude et expliquait ainsi : « Le principal enseignement de cette étude est que contrairement aux idées reçues, les fonctionnaires ne sont pas plus souvent arrêtés que les salariés du privé en CDI depuis plus d’un an. »
35 % des agents de la fonction publique territoriale ont eu au moins un arrêt pour raisons de santé dans l’année en 2013. Dans le secteur privé, ce taux s’élève à 28 %. Mais « pour sept salariés sur dix absents au moins une fois, dans la fonction publique comme dans le secteur privé, il ne s’agit que d’un seul arrêt maladie dans l’année », indiquait par ailleurs la DGAFP dans son dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique.

Fonctionnaires et CDI

L’étude de l’Ifrap notait également que les titulaires étaient beaucoup plus absents que les contractuels. Si les proportions données par le think tank libéral peuvent être questionnées, à cause notamment de l’absence de règles communes de calcul et la sur-comptabilité de certains jours d’absences – reste que cette tendance à l’absence chez ceux qui ont un emploi stable est une réalité… mais qui existe également dans le privé !
Le statut d’emploi peut faciliter ou au contraire rendre plus difficile l’absence pour maladie, selon le degré de sécurité de l’emploi ou les droits au maintien du revenu en cas d’absence [...] À principales caractéristiques identifiables équivalentes, les taux d’absentéisme des salariés en CDI de plus d’un an et des fonctionnaires ne diffèrent pas significativement. (étude DARES)

Capture
Ainsi pour Le Point, si les titulaires sont plus souvent absents que les contractuels, c’est que les fonctionnaires n’ont pas à supporter de jour de carence lorsqu’ils s’absentent…Une analyse certes exacte, mais très insuffisante !
La Gazette  expliquait ainsi en 2013, s’agissant du bilan de l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique :  « L’effet « jour de carence » paraît indéniable : les arrêts d’un jour se sont réduits de 43,2 %, ceux de deux jours de 18 % et ceux de trois jours de 12,2 %, d’après l’étude réalisée par la Société française de courtage d’assurance du personnel (Sofcap) sur un échantillon de 350 000 agents et plus de 18 000 collectivités. »
En revanche, dans le même temps, les arrêts longs – les plus coûteux – ont eux continué d’augmenter : « La proportion des arrêts de quatre jours consécutifs et plus augmente, avec une forte hausse des arrêts longs : + 35 % pour les absences de un à trois mois, + 47 % pour celles de trois à six mois, + 107 % de six mois à un an. La durée moyenne des arrêts a ainsi progressé de 11 % au cours des cinq dernières années. » Avec une forte hausse également des accidents de travail  chez les agents « qui progressent, que ce soit en fréquence (+ 22 %), en exposition au risque (+ 18 %) ou en gravité des arrêts (+ 40%) [...]. Ils sont passés de 42 jours en moyenne en 2007 à 50 jours en 2012. »

Pénibilité du travail de certains agents de la FPT

Ce qui pose indéniablement la question de la pénibilité du travail d’une part significative des fonctionnaires territoriaux.
Dans une étude consacrée aux risques professionnels, la Dares apportait un éclairage sur les conditions d’exercice de certains agents, comme le détaillait La Gazette :
  • 11, 3 % des territoriaux travaillent la nuit,
  • 5 % sont exposés à au moins un agent chimique cancérogène,
  • 18 % restent débout ou piétinement 20 heures ou plus par semaine,
  • 20,9 % estiment ne pas avoir de collègues en nombre suffisant pour effectuer correctement leur travail,
  • 21,7 % confient avoir été victime d’au moins une agression verbale de la part du public, au cours des 12 derniers mois…
Des contraintes physiques ou psychiques qui pèsent fortement dans les absences plus nombreuses repérées dans la FPT.
Interrogé sur cette question par La Gazette, Vincent Potier, le directeur général du CNFPT expliquait ainsi :
D’une part, dans la FPT, la proportion d’agents de catégorie C est plus élevée. Il s’agit en grande partie de métiers dits ouvriers, caractérisés par de fortes contraintes physiques. D’autre part, l’âge moyen des agents est légèrement plus élevé. Cette différence ne résulte donc pas du laxisme des élus locaux et de la décentralisation ou d’une fainéantise plus grande des territoriaux comme certains le laissent entendre.
Aussi, contrairement à ce que pense Le Point – « il apparaît clairement qu’on a décidé une fois pour toutes dans l’administration d’appliquer la politique de l’autruche avec la plus parfaite mauvaise foi et la plus grande fermeté » – la réalité de l’absentéisme dans la FPT demeure une question complexe, qui ne peut se résumer à la prétendue fainéantise des agents du public…

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