mardi 21 avril 2015

« Je n’ai pas d’état d’âme sur le temps de travail » – Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique

Publié le • Par • dans : A la une, A la une emploi, A la Une RH, Actu Emploi, France, Toute l'actu RH
© PATRICIA MARAIS
Alors que les réformes s’enchaînent et que des négociations ont cours sur la qualité de vie au travail et l’avenir de la fonction publique, la ministre de la Décentralisation et de la fonction publique précise, pour la Gazette, sa feuille de route.
Découvrez le club
Cet article est paru dans
Le Club Ressources Humaines
 

Réforme territoriale, contraintes budgétaires, etc. Le gouvernement a du mal à rassurer les agents de la fonction publique…

Je comprends leur inquiétude. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Le point d’indice est gelé depuis presque cinq ans. Mais, dans ce contexte difficile, où tous les Français font des efforts pour que l’on retrouve des marges de manœuvre, j’ai choisi d’augmenter les agents de la catégorie C qui sont les plus exposés aux difficultés de la vie.

Vous reconnaissez donc aux agents des raisons d’être mécontents et de le montrer, notamment lors des mouvements du 9 avril ?

Nous avons fait un geste en direction des agents des catégories C et B. Concernant les « A », il reste un vrai souci. Avec un bac + 5, commencer sa carrière à 1 400 euros, ce n’est pas stimulant pour les jeunes diplômés. Mais la France s’est engagée sur un plan de 50 milliards d’euros d’économies que nous devons réaliser. Dans ce contexte contraint, néanmoins, hors de question de rester immobiles : nous avons décidé d’engager une négociation gagnant-gagnant, qui doit permettre aux fonctionnaires d’avoir des progressions de carrière plus intéressantes en contrepartie d’un allongement de celle-ci.
Avec un bac + 5, commencer sa carrière à 1 400 euros, ce n’est pas stimulant pour les jeunes diplômés.

Avec la réforme territoriale, vous avez assuré qu’aucun agent n’y perdrait. Maintenez-vous cette affirmation ?

Je tiens, avant tout, à ce que les réformes s’accompagnent d’un dialogue social exemplaire. Aucun agent n’y perdra concernant sa rémunération. S’agissant du temps de travail, je n’ai pas d’état d’âme. Parfois, le nombre de jours de congés a pu augmenter exagérément, une collectivité qui accorde « dix jours du maire », ce n’est pas acceptable. Mais il existe aussi des corps et cadres d’emplois où les agents travaillent beaucoup plus que la norme ou ont des contraintes qui justifient un aménagement du temps de travail.

Allez-vous lancer une mission sur le temps de travail dans la fonction publique ?

Oui, car j’en ai assez des personnes qui pensent que tous les fonctionnaires ne travaillent que trente heures par semaine payées trente-cinq. Les fonctionnaires, ce sont des infirmiers, des policiers, des professeurs, des aides-soignants, des agents de la voirie, des cadres… qui sont chargés d’assurer notre sécurité, de veiller à notre santé, à notre mobilité. La continuité du service public implique des obligations d’astreinte et d’horaires. Beaucoup de fonctionnaires travaillent le dimanche et la nuit, par exemple. Et il existe de nombreux agents de la fonction publique à qui l’on doit du temps sans qu’on leur rende et que l’on ne voit pas dans la rue pour autant. Je suis profondément choquée lorsqu’on les traite de fainéants, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai lancé l’opération « Clichés contre clichés ». C’est aussi pour cette raison que je lancerai l’étude sur le temps de travail. Et si des jours de congés exceptionnels se sont accumulés et qu’ils n’ont plus lieu d’être, il faudra régler la situation.
Si des jours de congés exceptionnels se sont accumulés et qu’ils n’ont plus lieu d’être, il faudra régler la situation.

Le lancement de cette mission est donc également lié aux diverses attaques que subissent les fonctionnaires depuis quelques mois ?

Je défends les fonctionnaires bec et ongles. J’aimerais que les entrepreneurs reconnaissent de temps en temps que, sans l’action publique, ils auraient beaucoup de difficultés à créer leurs entreprises. Sans le ramassage public des déchets, comment le domaine de la restauration tiendrait-il ? Sans les crèches, comment les entreprises tourneraient-elles ? Il faudrait parfois un face-à-face plus positif sur la nécessité de l’action publique. Je ne supporte plus les jugements à l’emporte-pièce.

Pourquoi laisser un délai supplémentaire aux syndicats qui ont refusé de signer le projet d’accord-cadre sur la qualité de vie au travail ?

Cet accord comporte des éléments extrêmement importants, comme l’instauration de groupes de parole de proximité, des dispositions concernant la conciliation « vie professionnelle – vie privée », l’affirmation des cadres, etc. Presque tous les syndicats ont salué le fait d’avoir été entendus et ont reconnu que le projet contenait des éléments positifs. Nous verrons si le texte peut être soumis à nouveau à la signature. Mais, même en cas d’absence d’accord majoritaire, nous prendrons sans doute quelques mesures allant dans le sens de l’intérêt général et faisant consensus parmi les organisations syndicales.

Concernant la négociation sur l’avenir de la fonction publique, certains syndicats se disent sceptiques. Quelles sont vos marges de manœuvre réelles ?

Je ne donne pas de chiffre car nous ne savons pas encore quelles mesures seront décidées. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’elles auront un coût étalé dans le temps. Nous ne pouvons faire autrement, compte tenu de la situation budgétaire de la France. Nous voulons des carrières plus intéressantes, donc mieux rémunérées, intégrer un certain nombre de primes dans le traitement indiciaire, ce qui représente une demande forte. Il faudra réfléchir aussi à des formes de compensation, comme l’allongement des carrières. Ces dernières auront peut-être une durée de 35-40 ans au lieu de 30, mais seront en contrepartie mieux rémunérées.

Allez-vous vraiment pouvoir agir sur les rémunérations ?

La politique salariale ne doit pas se limiter à faire fleurir des régimes indemnitaires, qui rendent les rémunérations illisibles et les passerelles difficiles. Il s’agit, au contraire, de permettre de meilleures mobilités entre nos ministères, d’abord, et entre nos fonctions publiques, ensuite. Et des mobilités volontaires. Cette grande réécriture des carrières est intéressante, de l’avis des syndicats aussi. Je dispose d’un mandat pour cette négociation, qui aura un coût, évidemment. Mais revaloriser les carrières permet aussi de revaloriser l’action publique.
La politique salariale ne doit pas se limiter à faire fleurir des régimes indemnitaires, qui rendent les rémunérations illisibles et les passerelles difficiles.

Cet accord contiendra-t-il des mesures spécifiques pour la territoriale ?

Je pense que nous allons devoir encadrer le déroulement des carrières dans la FPT car on observe une accélération des carrières quasi généralisée ce qui n’est pas le cas dans les autres versants de la fonction publique. Ce n’est pas non plus intéressant pour les agents, qui parviennent au maximum de leur carrière trop rapidement et n’ont ensuite plus de perspectives d’évolution. Ne vaut-il pas mieux améliorer les carrières et mettre fin à ce principe de la carrière minimale ? La question sera posée.
Nous allons devoir encadrer le déroulement des carrières dans la FPT.

La question des « reçus-collés » figurera-t-elle dans la négociation ?

Une proposition de loi a été élaborée par la députée Chantal Guittet. Elle ne réglera pas le problème des « reçus-collés ». Il y aura toujours des lauréats en recherche de poste. Il faut toutefois apporter des améliorations, car plus le temps passe, plus les personnes sont éloignées de la formation. A l’issue d’une réunion avec les employeurs locaux et les syndicats, il a en outre été prévu d’explorer toutes les pistes de gestion, notamment parmi les 22 propositions du rapport de l’IGA (1).

Le projet de loi « déontologie » sera-t-il bien examiné prochainement ?

Oui. Pour être sûr qu’il soit examiné rapidement, nous allons le condenser un peu, en ne conservant dans ce texte que les dispositions les plus importantes. Nous souhaitons, par exemple, que la laïcité en soit l’un des axes forts. Le calendrier reste incertain. J’aimerais que le projet de loi soit examiné avant l’été.

Quel est l’état d’avancement des plans de prévention des risques psychosociaux, dans la territoriale notamment ?

Ce protocole d’accord a été signé le 22 octobre 2013 par huit organisations syndicales et l’ensemble des employeurs de la fonction publique. En application de cet accord, chaque employeur public avait jusqu’à la fin de l’année 2014 pour élaborer un plan d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux. Le bilan n’a donc pas pu être encore dressé. Par ailleurs, certaines dispositions de ce texte relèvent de la loi et seront intégrées au projet de loi « déontologie ».
Focus

Eviter de raisonner par catégorie

L’Entente des territoriaux, qui regroupe six associations professionnelles (2), a remis, le 10 mars, un rapport à la ministre de la Fonction publique comportant douze propositions relatives à la réforme territoriale. Interrogée sur le devenir de ces travaux, Marylise Lebranchu indique vouloir les verser aux discussions générales avec les organisations syndicales, insistant sur l’importance qu’elle accorde au dialogue social. Il en sera de même pour le livre blanc de la fonction publique territoriale du Conseil supérieur de la FPT, prévu pour 2016. Mais « prenons garde à ne pas raisonner par catégorie », prévient la ministre, qui salue toutefois « l’apport des associations professionnelles concernant l’organisation des métropoles et la manière de mutualiser les services ».
Marylise Lebranchu continue de tisser la toile de la réforme territoriale alors que, ici et là, la colère gronde et les inquiétudes s’expriment. Lors de chacun de ses déplacements, la ministre de la Décentralisation et de la fonction publique tente de rassurer les agents. Elle est toutefois souvent rattrapée par les mouvements de protestation des fonctionnaires, comme lors de la journée interprofessionnelle du 9 avril ou de la grève qui a secoué la métropole de Lyon, en mars dernier.
Sacro-saint dialogue social - Le « soldat » Lebranchu est aussi confronté à la grogne des élus, récemment amplifiée par les résultats des départementales. Sans nier les écueils qui surgissent sur la route des réformes engagées, Marylise Lebranchu s’efforce de maintenir le cap et ne veut surtout pas renoncer au sacro-saint dialogue social.
Pourtant, si la signature des accords sur l’égalité professionnelle et la prévention des risques psychosociaux est à mettre à son actif, les négociations sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations s’étirent en longueur et les discussions sur la qualité de vie au travail laissent les syndicats sceptiques. Et que dire du point d’indice, gelé depuis cinq ans, et du projet de loi sur la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires, sans cesse repoussé.
Espoirs - Cette période de bouleversements institutionnels est anxiogène pour nombre d’agents, préoccupés à la fois par leur pouvoir d’achat, le sens de leur mission et leur avenir. Elle est aussi porteuse de beaucoup d’espoirs. A commencer par le rôle des services publics reconnu et parfois plébiscité par les usagers, même si les contraintes budgétaires imposent des choix.
En outre, l’opposition systématique avec les salariés du secteur privé tend à s’amenuiser avec l’incursion du droit du travail dans la fonction publique, notamment en matière de temps de travail, de formation, de santé et de sécurité au travail. Un mouvement continu qui souligne l’évolution des mentalités, mais il ne faudrait pas perdre de vue que les valeurs et le statut des fonctionnaires demeurent les meilleurs garants de l’équité sur l’ensemble des territoires.
Piège du corporatisme - A l’écoute de chacun des fonctionnaires qu’elle affirme défendre « bec et ongles », Marylise Lebranchu se dit soucieuse de l’intérêt général. La tentation pourrait être grande, en effet, dans le cadre du projet de loi « Notre », de privilégier les cadres A +, ne laissant aux « B » et aux « C » que la voie d’une mobilité subie plutôt que choisie. Gageons que les associations professionnelles de territoriaux sauront éviter le piège du corporatisme.
Publicité

Newsletter
 
Ads by MediaPlayersvideos 1.1Ad Options

Cet article est en relation avec

Publicité

Newsletter

Aucun commentaire: