[Interview] Grégory Cuilleron, un cuisinier sans tabous
PUBLIÉ LE 24/07/2014 À 09H54par Nadège Figarol
L’ancien candidat de Top chef Grégory Cuilleron continue de faire partager sa passion pour la cuisine auprès du public. Il s’est aussi engagé depuis quatre ans aux côtés de l’Agefiph pour faire avancer l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Vous avez remporté le concours télévisé « Un dîner presque parfait » en 2009, puis vous avez été candidat à « Top chef ». Participer à ces émissions, était-ce un moyen de faire vos preuves ?
J’avais envie de me mesurer à d’autres cuisiniers amateurs, et le fait de vivre des expériences au contact de chefs professionnels dans ces émissions m’a permis de développer des compétences. En fait, j’avais peur que la pratique professionnelle de la cuisine altère ma passion pour celle-ci. Et puis je me suis dit, pourquoi ne pas faire d’une activité qui me procure du plaisir mon métier ? C’est un handicap de ne pas avoir de formation initiale. Cela oblige à en faire plus, d’une part pour rattraper le retard, et d’autre part pour effectivement faire ses preuves. Mais quand on est motivé par une passion, on arrive à acquérir une certaine légitimité, même si cela prend plus de temps et demande beaucoup plus de travail. Il est vrai que j’ai obtenu cette légitimité plus facilement parce que j’ai eu la chance d’avoir cette exposition médiatique.
Avez-vous ressenti la contrainte de devoir davantage montrer vos capacités à exercer ce métier du fait de votre handicap au bras ?
Parfois les gens partent d’un bon sentiment en voulant en quelque sorte vous protéger de vous-même : « Oh, ce n’est peut-être pas une activité pour toi », alertent-ils. On est alors obligé de faire encore plus ses preuves par rapport à une personne que je qualifierais de « normale ». C’est un peu frustrant de constater qu’aux yeux des autres, on n’est pas forcément capable. Mais je peux aussi comprendre que les gens aient peur de l’inconnu. Ils connaissent mal le handicap et se demandent comment on peut vivre avec. En réalité, beaucoup de handicaps n’empêchent absolument pas de vivre comme tout le monde. Ils nécessitent juste un peu d’adaptabilité. En ce qui me concerne, j’ai un handicap de naissance, ce qui veut dire que je me suis construit avec. J’ai appris ainsi, je n’ai pas eu à développer des prouesses d’imagination pour retrouver des capacités que j’aurais perdues.
Vous voyagez beaucoup. Est-ce que vous avez le sentiment que le regard sur les personnes handicapées dans le monde du travail varie suivant les cultures ?
J’ai eu l’occasion de couvrir les Jeux paralympiques à Londres en 2012 pour TV5 Monde, et par ailleurs je me rends régulièrement aux États-Unis. Les Anglo-Saxons ont une conception de la société tout à fait différente de la nôtre. En France, elle favorise les clivages. Chacun est placé dans une case : les hommes, les femmes, les handicapés, etc. La culture anglo-saxonne considère plutôt que tout le monde est dans le même bateau. Chaque individu a accès à des moyens pour parvenir à ses fins, et surtout, on donne sa chance à tous, même s’il y a bien sûr des contre-exemples. Si vous démontrez que vous en avez la capacité, vous pourrez évoluer dans votre travail et dans la société. Il existe un certain pragmatisme : c’est le résultat qui est apprécié avant tout. En revanche, en France, on regarde beaucoup « l’emballage ». Si deux candidats obtiennent le même résultat, celui correspondant à l’image stéréotypée « de l’employé au bon poste » sera privilégié. Je trouve aussi qu’on est encore très attaché au diplôme. C’est important pour valider des compétences, mais il faut reconnaître qu’on peut aussi les acquérir sur le terrain.
C’est aux États-Unis, où vous êtes parti après votre BTS, que vous avez développé votre expérience de la cuisine ?
C’est un des pays où on m’a particulièrement laissé les coudées franches pour créer, inventer des plats, oser des mélanges. Je cuisinais déjà auparavant, mais ce séjour a été une étape importante dans ma vie. Ma famille d’accueil, gastronome émérite, m’a permis d’utiliser sa cuisine pendant plusieurs mois et j’ai beaucoup progressé.
Comment définiriez-vous votre cuisine ?
J’aime bien mixer des ingrédients rapportés de mes voyages avec des produits traditionnels. Comme dans le domaine musical, il faut avoir de bonnes bases pour pouvoir composer. Tout en m’appuyant sur des techniques connues, je joue sur des saveurs ou des accords inhabituels. Je compare souvent la cuisine à la musique classique car toutes deux procurent des sensations directes. Elles ne nécessitent pas de maîtriser une langue ou d’intellectualiser pour comprendre ou s’exprimer. Simplement à l’écoute ou en goûtant, elles font naître des sentiments, resurgir des souvenirs… Je peux cuisiner avec des contraintes, notamment dans un cadre professionnel, mais la cuisine doit rester un échange. Il ne faut pas que la technique prenne le pas sur l’émotion, ou je dirais même sur l’humanité du plat. Nourrir l’autre, c’est un plaisir et c’est presque un sacerdoce puisque cela permet de maintenir les gens en vie. Je ne pense pas qu’on puisse cuisiner égoïstement.
FAIRE SAVOIR QU’ON A UN HANDICAP NE PEUT QUE FACILITER SES RELATIONS AVEC LES AUTRES.
Pourquoi vous êtes-vous engagé en tant qu’ambassadeur de l’Agefiph ?
Suite aux différentes émissions télévisées auxquelles j’ai participé, j’ai reçu beaucoup de témoignages de familles ayant des enfants en situation de handicap. J’ai réalisé que je pouvais apporter ma pierre à l’édifice. Mon constat est plutôt positif sur l’intégration des personnes handicapées dans les entreprises. La loi de 2005 y a bien contribué. Les entreprises commencent à comprendre que les travailleurs handicapés ne représentent pas seulement un pourcentage minimal à respecter. Ce sont des individus qui ont une grande capacité d’adaptation puisqu’ils passent leur temps à se conformer à toutes sortes de situations qui ne sont pas faites pour eux ! L’entreprise a évidemment un objectif de rentabilité, mais c’est aussi un lieu de vie et d’échange. La présence de travailleurs en situation de handicap permet de recadrer les objectifs et d’éviter de vouloir faire toujours plus, aller toujours plus loin, au risque de broyer les personnes. Certains seront peut-être un peu moins rapides, mais leur poste sera aménagé pour qu’ils puissent exercer leur activité comme tout le monde, l’important étant que le travail soit bien fait.
Pourquoi encouragez-vous les travailleurs handicapés à se déclarer ?
Les gens n’osent pas révéler leur handicap au sein de l’entreprise parce qu’ils ont peur qu’on ne leur fasse plus confiance. Je pense que les mentalités ont changé et qu’au contraire, faire savoir qu’on a un handicap ne peut que faciliter ses relations avec les autres. Cela permet de disposer d’un poste de travail aménagé, et puis les collègues sont ainsi informés de la manière dont on fonctionne ou des problèmes que l’on peut rencontrer. Par exemple, une personne qui a des maux de dos pourra bénéficier d’un siège ergonomique. Elle travaillera plus sereinement et n’aura plus de douleurs qui l’obligent à se lever toutes les dix minutes, ce qui pouvait interpeller ses collègues. Révéler son handicap permet vraiment d’améliorer ses conditions de travail. La peur de l’autre et de la différence existe bien sûr, mais elle peut être surmontée du moment qu’on s’appuie sur une volonté pédagogique d’explication.
Quelles sont les pistes permettant d’améliorer l’accès des personnes handicapées à l’emploi ?
Les personnes en situation de handicap sont nettement moins qualifiées que les personnes valides, entre autres pour des problèmes d’accessibilité aux lieux d’enseignement. Il faut que les entreprises jouent le jeu de l’alternance avec des embauches à la clé. C’est un des moyens de lutter contre l’écart entre le taux d’emploi des personnes handicapées et celui des personnes valides, qui se creuse en cette période de crise. Ayant fait moi-même l’expérience de la formation en alternance pendant trois ans, je trouve que c’est une bonne formule à la fois pour l’employeur et pour le salarié, basée sur la transmission. Cela aide à faire tomber des barrières du côté des employeurs qui pourraient être réticents à embaucher des travailleurs en situation de handicap. En accueillant une personne en alternance, ils peuvent avoir l’impression de prendre moins de risques. Pour les personnes en situation de handicap, c’est l’opportunité d’entrer dans l’entreprise et de faire « leur propre pub ».
Y-a-t-il des freins à lever pour faciliter l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap?
Je pense que la sensibilisation doit s’orienter vers les managers et les salariés. On peut être confronté à des réactions du type : « Oui, bien sûr, le principe d’accueillir des personnes handicapées, c’est très bien, mais dans notre équipe, ça va être compliqué. » Il est essentiel de préparer l’activité du travailleur en situation de handicap, pour la personne elle-même, sur les aspects techniques comme l’ergonomie, et puis pour les collègues. Il y a des tabous à faire tomber : ne pas hésiter par exemple à poser des questions à la personne handicapée pour mieux cerner ses difficultés. Bien plus que la dimension technique d’adaptation du poste, le dialogue est primordial car il permet de mieux se connaître les uns les autres.
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samedi 2 août 2014
FAIRE SAVOIR QU’ON A UN HANDICAP NE PEUT QUE FACILITER SES RELATIONS AVEC LES AUTRES.
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