lundi 11 avril 2011

Thomas Piketty. Le système fiscal actuel n’est pas progressif mais régressif.

Vous portez un diagnostic sévère sur notre système fiscal et vous proposez une réforme profonde. Quelles en sont les mesures essentielles?
Thomas Piketty. Le système fiscal actuel n’est pas progressif mais régressif. Cela signifie que si l’on prend en compte tous les prélèvements on constate alors que le taux global d’imposition pèse plus sur les classes modestes et moyennes qui paient entre 40% et 56%, alors que les plus riches ne paient que 30% de leurs revenus. Partout en Europe, l’impôt sur le revenu rapporte entre 8% et 10% du PIB. En France, il ne rapporte que 2,5% du PIB. L’impôt sur le revenu est mité par les niches fiscales. La plupart des revenus du patrimoine échappent à la progressivité. L’essentiel des recettes fiscales provient des impôts indirects (TVA, taxes diverses) pour 220 milliards d’euros qui pèsent sur tous les consommateurs et accroissent l’injustice.
On ne peut plus réformer à la marge, il faut refonder entièrement le système fiscal en supprimant l’impôt sur le revenu et en fusionnant celui-ci avec la contribution sociale généralisée (CSG) qui est un prélèvement de 8% retenu à la source sur tous les revenus, avec une assiette large, sans niche fiscale. Nous proposons de refonder le nouvel impôt sur le revenu comme une extension de l’actuelle CSG avec un barème progressif.
Cette fusion est techniquement réalisable et permettrait de créer un impôt plus progressif et plus juste. Le prélèvement à la source n’est pas une solution miracle, mais il permet tout de même de simplifier la vie de millions de contribuables. L’aspect le plus aberrant du système actuel est que l’on commence par prélever 8% de CSG, soit environ un mois de salaire par an, puis un an plus tard, on reverse à plus de 8 mil-- lions de salariés la prime pour l’emploi qui représente un demi à un mois de salaire.
Dans le système que nous défendons, tout est fusionné en un unique prélèvement à la source, avec un taux réduit à 2% au niveau du Smic, soit une très forte hausse du salaire direct pour des millions de salariés. C’est tout de même plus satisfaisant que de recevoir un chèque avec un an de retard.
Véronique Descacq. La CFDT partage le constat sur l’insuffisante progressivité de l’impôt, sur le fait que beaucoup d’impôts pèsent sur la consommation et sont donc payés sans que le consommateur s’en aperçoive. La TVA n’est pas juste puisqu’elle pèse proportionnellement plus sur les revenus modestes.
Nous avons d’ailleurs traduit notre volonté de réforme fiscale dans la résolution votée au congrès de Tours en juin 2010, texte dans lequel nous demandons une progressivité accrue. Nous sommes aussi d’accord avec vous sur la complexité actuelle du système qui est devenu illisible pour la plupart de nos concitoyens. Il faut donc revaloriser l’impôt et réformer le système. Mais nous avons des réticences sur la fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG pour trois raisons. Actuellement, les 90 milliards que rapporte la CSG sont consacrés au financement de la protection sociale. Cette affectation risque d’être mise en danger par la fusion des deux prélèvements, l’Etat pourrait être tenté de rogner sur les ressources de la protection sociale. Deuxième réserve, pour la CFDT, la logique qui préside à l’impôt sur le revenu et la CSG n’est pas la même. Dans un cas, il permet la mise en œuvre de politiques économiques ; dans l’autre, il vise des objectifs de protection sociale. Quelle serait la marge de manœuvre des partenaires sociaux dans le cas d’une fusion ? Nous avons des craintes d’être privés d’outils et de moyens pour agir. Enfin, rendre le financement de la protection sociale progressif pourrait nous exposer, en germe, à un rejet des classes moyennes supérieures qui auraient le sentiment de supporter plus que les autres le poids des dépenses sans en bénéficier en retour. Ce senti discours de rejet de la mutualisation des risques. La CFDT ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre.
T.P. Je comprends fort bien ces objections et la question de la sanctuarisation des fonds consacrés à la protection sociale est une vraie interrogation légitime. Mais, de mon point de vue, ce ne peut être une raison pour ne rien faire, et ne rien changer.
Le paritarisme et la protection sociale n’ont rien à gagner au dépérissement de notre système fiscal. On peut concilier la simplicité du système de prélèvement pour le contribuable et la sanctuarisation des dépenses sociales. La solution peut passer par la loi de financement de la Sécurité sociale qui affecterait un pourcentage des recettes… Je me souviens qu’à la création de la CSG, sous le gouvernement Rocard, certains craignaient qu’à moyen terme, on réduise le taux de prélèvement affecté à la protection sociale, ce qui n’a jamais été fait parce que les Français sont très attachés à ces dépenses sociales. Sur ces questions, il faut faire preuve d’imagination. On pourrait, par exemple, assurer le taux consacré à la protection sociale en imposant une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale sur le vote de la loi... On peut même, dans le cadre du prélèvement à la source, maintenir une ligne séparée sur le bulletin de salaire où apparaîtrait la part sociale.
V.D. J’entends bien que l’on puisse apporter des garanties, mais comment être sûrs que celles-ci soient pérennes? Les contraintes budgétaires de l’Etat sont fortes. Il est régulièrement tenté de récupérer des ressources gérées par les partenaires sociaux (dans la formation professionnelle par exemple), si bien que s’est installée une crise de confiance entre les partenaires sociaux et l’Etat.

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