Depuis plusieurs mois, Marsactu suit les rebondissement de l’enquête sur les marchés publics dans les Bouches-du-Rhône. Mais n’avait jamais synthétisé le dossier pour ceux qui auraient pris le camion benne en route. C’est désormais chose faite, à l’occasion d’un partenariat avec Mediapart.
Un «vent mauvais» souffle sur Marseille, a déploré son maire, l’UMP Jean-Claude Gaudin, lors du conseil municipal du 6 décembre. Lundi matin, les politiques marseillais s’étaient mis d’accord, à son invitation, pour ne surtout pas sortir les couteaux à propos d’un dossier qui fait trembler beaucoup de monde: l’enquête autour des marchés publics avec, à la clé, des soupçons de blanchiment, abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel et corruption active.
Rien que ça ! Surtout quand parmi les sept personnes mises en examen la semaine dernière figurent des fonctionnaires de la communauté urbaine de Marseille et de l’agglomération d’Aubagne, et Alexandre Guérini, frère de Jean-Noël, président PS du conseil général et patron incontesté de la troisième fédération socialiste de France. Retour sur cette information judiciaire aux ramifications multiples, et qui fut ouverte en avril 2009 après la réception de courriers anonymes visant le fonctionnement des sociétés d’Alexandre Guérini, entrepreneur spécialisé dans les déchets.
1 Un militant socialiste sans mandat
Militant socialiste depuis longtemps, Alexandre Guérini fait partie du bureau fédéral socialiste des Bouches-du-Rhône dont son frère s’est fait élire premier secrétaire fédéral en septembre, et siège également à la commission des adhésions. Aux municipales de 2008, il était directeur de campagne officieux de son frère. Selon Le Point, il a même un temps songé à se présenter aux régionales en Paca, avant que n’éclate dans la presse l’affaire des marchés publics de déchets en novembre 2009.
«Lui, c’est lui et moi, c’est moi, a répété Jean-Noël Guérini dans La Provence. Je ne suis concerné ni de près, ni de loin par les affaires et les entreprises de mon frère (…), le conseil général n’étant en aucun cas concerné par les affaires judiciaires.» La carrière de l’un suit pourtant celle de l’autre. Après avoir créé une entreprise de plomberie travaillant pour l’office HLM du département, office dont son frère conquiert en 1987 la présidence, Alexandre Guérini se reconvertit dans les déchets, un an après l’élection de Jean-Noël à la tête du conseil général en 1998. Il n’a jamais obtenu de marché direct du conseil général (à part via son bailleur social, l’ex-Opac Sud, aujourd’hui 13 Habitat qui a fait plusieurs fois appel à la SMA Environnement pour au minimum 220.000 euros de prestations). Mais depuis la conquête de la communauté urbaine par les socialistes, il a été décrit comme omnipotent au sein de l’institution.
2 La décharge du Mentaure, un cas d’école ?
Les enquêtes judiciaires se sont rapidement orientées vers la décharge du Mentaure, à La Ciotat, exploitée depuis 2004 par la SMA Environnement, une des sociétés d’Alexandre Guérini. Elle accueille les déchets de la communauté d’agglomération d’Aubagne et de six communes de Marseille Provence Métropole (MPM). Mais aussi, croient savoir les enquêteurs, ceux d’entreprises privées, déchets qui seraient pourtant facturés aux deux collectivités. Le système, qui aurait aussi été utilisé dans plusieurs déchetteries des environs, reposerait sur Queyras Environnement, une entreprise dirigée par Eric Pascal, proche d’Alexandre Guérini et mis en examen en juin 2010. Montant de la fraude suspectée : 2 millions d’euros.
Le Mentaure illustrerait également l’influence d’Alexandre Guérini au sein des collectivités du département. Dès 2003, alors que l’agglomération d’Aubagne ne lui avait pas encore confié la décharge, il serait intervenu dans les négociations de vente d’un terrain adjacent de 4 hectares. «C’est lui qui donnait des ordres à Daniel Pinna (ancien directeur général des services, mis en examen, ndlr)», assure à La Provence l’ancien propriétaire. Puis, en 2006, après l’échec de la vente, une délibération du conseil général signée de la main de Jean-Noël Guérini préempte le terrain au titre de la «protection des espaces naturels sensibles» et de «la préservation de la qualité des paysages». Pour aussitôt le revendre à Aubagne, qui agrandit la décharge, au grand dam de l’ancien propriétaire…
Jean-Noël Guérini et Eugène Caselli. Photo : Julien Vinzent.
3 Un homme de réseau
Les écoutes menées par les gendarmes de la section de recherche ont révélé qu’Alexandre Guérini était très présent au sein d’institutions publiques où il ne disposait pourtant d’aucun mandat. Selon Le Monde, «on y entendrait ainsi Alexandre Guérini exiger le retrait d’un appel d’offres concernant une collecte sélective, menacer de “faire virer” les fonctionnaires trop scrupuleux, intervenir auprès de l’office HLM pour récupérer des logements destinés à ses obligés, obtenir du conseil général des emplois et des subventions pour des associations qu’il semble diriger en sous-main, faciliter l’attribution de marchés à des sociétés via le versement de commissions, voire commercer sans la moindre justification avec des officines spécialisées dans le blanchiment».
L’enquête ne s’arrête pas aux portes des décharges. Sont également en ligne de mire des marchés de reprographie, l’attribution des logements de 13 Habitat, l’office HLM du département, et les agréments délivrés aux maisons de retraite, principalement du ressort du conseil général. Le président de 13 Habitat, Jean-François Noyes, ancien directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, a d’ailleurs été entendu le 29 novembre. Tout comme le directeur général de l’office HLM et sa chef de cabinet. Alexandre Guérini était particulièrement présent à la communauté urbaine de Marseille, ravie à la droite en 2008 par le socialiste Eugène Caselli. «Il participe au choix des directeurs de service, donne des ordres et récupère des infos sur les appels d’offres…», détaille La Provence.
Selon le dossier d’instruction, Alexandre Guérini aurait même recruté, en lieu et place d’Eugène Caselli, le directeur adjoint chargé de la propreté de MPM, Michel Karabadjakian. Ce dernier a été mis en examen le 30 novembre pour «trafic d’influence et corruption passive». L’avocat de Michel Karabadjakian, le socialiste Michel Pezet, ancien président du conseil régional et poids lourd de la vie politique marseillaise, affirme que son client «a été subjugué» par Alexandre Guérini, un homme «à la personnalité forte». Directement visé, Eugène Caselli a affirmé être à l’origine de l’embauche.
En toile de fond, il faut rappeler la polémique de novembre 2009 quand Eugène Caselli avait, à la stupéfaction générale, déclaré «sans suite» la procédure d’appel d’offres d’un marché de déchets, après une grève des salariés de la société Bronzo, écartée au profit d’ISS Environnement par la commission d’appel d’offres (CAO). Cette décision était tout à fait exceptionnelle puisque l’avis de la CAO, composée de six élus (moitié majorité, moitié opposition), s’impose normalement à la Communauté urbaine. Curieusement, le rapport des services techniques de MPM favorisait Bronzo, alors que le géant danois ISS Environnement proposait une cinquantaine d’agents supplémentaires pour un budget inférieur de 4 millions.
«En 2009 les services techniques de la communauté urbaine, chargés de nous conseiller sur les candidatures, se sont mis à nous suggérer de retenir le candidat le plus cher et le moins performant», témoigne dans le JDD, Xavier Cachard, élu UMP, membre de la CAO. Renaud Muselier, député UMP, s’était alors payé un coup d’éclat en offrant à Eugène Caselli, un exemplaire de Gomorra, le livre de Roberto Saviano sur la Camorra et ses fructueux business des décharges . «Marseille n’est pas Naples», avait-il précisé. «A l’époque, Renaud Muselier avait demandé une enquête interne, il n’a pas eu de réponse, et aujourd’hui on se retrouve avec une enquête menée par la section de recherche des gendarmes», déplore Yves Moraine.
Eugène Caselli, président de MPM, n’en était pas à son coup d’essai. Déjà en juin 2009, il avait classé «sans suite» une autre procédure dans un important marché de «transfert, tri, valorisation». La CAO, passant outre le rapport des services techniques encore une fois favorable à Bronzo-Queyras, avait choisi à l’unanimité la proposition de Sita-Sud, filiale de Suez, inférieure de 5 millions d’euros à celle de son concurrent. Après la déclaration d’annulation par Eugène Caselli, les élus avaient revoté à l’automne 2009 pour Sita-Sud. Alexandre Guérini était-il derrière les curieux rapports des services techniques ? Selon Michel Pezet, joint au téléphone, Alexandre Guérini aurait «sollicité» les services techniques de MPM sur deux marchés publics, dont celui de novembre 2009 où les services avaient, d’après Rue 89, sous-évalué les appréciations techniques du dossier d’ISS Environnement, ainsi que sur «un marché antérieur».
4 Les poupées russes du grand banditisme
En octobre 2010, Pierre Olmeta, haut fonctionnaire du conseil général de Haute-Corse, est mis en examen pour détournement de fonds publics et favoritisme, au profit de son cousin Patrick Boudemaghe et de son associé Damien Amoretti. Surprise : ces derniers sont en contact avec Bernard Barresi, figure du grand banditisme arrêté en juin sur un yacht après vingt ans de cavale.
Puis une découverte fait l’effet d’une bombe : Damien Amoretti possède la moitié des parts de la SMA Vautubière, une société d’Alexandre Guérini qui gère la décharge de la Fare-les-Oliviers. Et ce via la SMAD, elle-même emboîtée dans des holdings au Luxembourg, au Panama, en Suisse…Parmi les poupées russes, MCH, domiciliée à Bristol, apparait dans le capital d’ABT, l’entreprise de travaux publics de Damien Amoretti. Redescendons d’un niveau : MCH contrôle Riviera International, présente aux côtés de la société de collecte des déchets Nicollin dans le marché de la Fare-les-Oliviers remporté par la SMA Vautubière.
Son gérant Stéphane Brunengo-Girard a été sorti des Baumettes, où il est écroué dans le cadre des marchés truqués de Haute-Corse, pour être confronté à Alexandre Guérini. Mais le plus étonnant est sans doute la rentabilité exceptionnelle de la SMA Environnement : 1 euro de bénéfice pour 1,8 euro de chiffre d’affaires en 2008 ! Tout en pratiquant des tarifs «50% moins cher que partout ailleurs», d’après l’agglomération d’Aubagne.
SMA Environnement comptait parmi ses sous-traitants plusieurs entreprises de Damien Amoretti. Au point que les gendarmes soupçonnent les sociétés d’Alexandre Guérini d’avoir pu servir à blanchir l’argent du grand banditisme via ces sociétés sous-traitantes qui obtenaient des marchés publics
5 Les déchets marseillais, une longue histoire
En juin 2010 lors des premières mises en examen dans l’affaire des marchés publics, Eugène Caselli avait prévenu que si les faits imputés à Queyras étaient vérifiés, la communauté urbaine «aura été victime de malversations à partir de 2006», soit également sous la mandature de Jean-Claude Gaudin.
En 2007, un rapport de la chambre régionale des comptes avait déjà étrillé la gestion par l’UMP de la collecte des déchets ménagers sur la communauté urbaine. Dans certains arrondissements (2e, 14e, 16e) confiés à des sociétés privées (ISS Environnement et Bronzo), les prix avaient augmenté de façon injustifiée jusqu’à 266% lors du renouvellement de marché de 2004. Sans «amélioration notoire du fonctionnement de la collecte», avaient remarqué les magistrats.
«Lors de la passation d’un nouveau marché, l’entreprise attributaire est presque toujours l’entreprise titulaire du marché précédent et les groupements entre entreprises limitent encore un peu plus les possibilités pour la communauté urbaine de bénéficier de la concurrence, aussi minime soit-elle», analysaient-ils. Bref on savait déjà que la gestion des déchets marseillais était une usine à gaz – et l’entourage d’Alexandre Guérini a trouvé là une stratégie de défense – mais on découvre aujourd’hui qu’elle a pu profiter à certains intérêts privés, voire au blanchiment d’argent issu du grand banditisme.
Un lien Un article de Louise Fessard (Mediapart) et Julien Vinzent (Marsactu)
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