TRAVAILLEURS DÉTACHÉS : UN PAS DE PLUS VERS LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE DÉTACHEMENT
Le 23 octobre dernier, les ministres du travail des 28 Etats membres de l’Union européenne sont parvenus à un compromis sur la proposition de révision de la directive détachement. Bien qu’un consensus ait enfin été trouvé pour renforcer la protection des salariés détachés, des points d’insatisfaction demeurent.
L’élargissement de l’Union européenne a accru la complexité des règles liées au détachement et de la lutte contre les abus et dérives sources de dumping social et de concurrence entre les salariés détachés et ceux de l’Etat d’accueil. Un tel contexte a rendu nécessaire la révision des règles européennes de 1996 sur le détachement(1). En mars 2016, soit 20 ans après l’adoption de cette première directive, la Commission européenne a mis sur la table une proposition de révision ciblée de la directive détachement de 1996.
Une directive d’exécution de la directive détachement a été adoptée en 2014(2). Face à la réticence de certains Etats, il a été convenu de ne pas réviser la directive de 1996, mais d’adopter une directive d’application. Dans cette directive sont notamment prévus : le contrôle de l’activité réelle de l’entreprise qui détache, des obligations administratives et des mesures de contrôle plus contraignantes ainsi que la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre et du sous-traitant.
Après l’échec des négociations du mois de juin dernier entre les 28 Etats membres, ces derniers sont cette fois-ci parvenus à un accord sur un texte de révision de la directive détachement. Ce texte vient apporter des modifications à la proposition initiale de la Commission européenne.
- La durée du détachement fixée à 12 mois
Alors que la proposition initiale de la Commission était de fixer une durée maximale de détachement de 24 mois (en s’alignant ainsi sur les règles européennes existantes en matière de sécurité sociale), celle-ci est finalement actée à 12 mois. Cette durée de 12 mois fait partie des points ambitieux poussés par la France pour arriver à un compromis.
Cette limite de 12 mois – au-delà de laquelle la loi applicable au travailleur détaché devient celle du pays d’accueil – peut toutefois faire l’objet d’une dérogation prolongeant ainsi la durée du détachement à 18 mois, sur notification motivée du prestataire de service (c’est-à-dire l’employeur de l’Etat d’origine auquel le travailleur détaché demeure lié).
- L’égalité de rémunération entre travailleurs détachés et travailleurs locaux
Les 28 ministres du travail soutiennent le fait que figure dans le cœur de la directive le principe d’une rémunération égale pour un même travail au même endroit. Dès lors, les travailleurs détachés devront avoir la même rémunération que les travailleurs locaux.
La notion de rémunération est d’ailleurs précisée en s‘appuyant sur la jurisprudence de la CJUE (3), pour comprendre les primes, indemnités, remboursements de frais et majorations (par exemple l’indemnité de trajet ou la prime de vacances). Le noyau dur de règles (de l’Etat d’accueil) applicables au travailleur détaché est par ailleurs renforcé pour intégrer les indemnités ou remboursement de frais de voyage et d’hébergement.
Toutefois, dans sa position, le Conseil supprime une disposition figurant dans la proposition initiale de la Commission qui visait les chaînes de sous-traitances, ce qui est pour la CFDT regrettable. En effet, cette disposition permettait aux Etats membres d’obliger les entreprises à ne sous-traiter qu’à des entreprises qui accordent aux travailleurs certaines conditions de rémunération applicables au contractant, y compris celle résultant de conventions collectives d’application non-générale. Mais le Conseil des 28 ministres n’en a pas voulu.
Toutefois, dans sa position, le Conseil supprime une disposition figurant dans la proposition initiale de la Commission qui visait les chaînes de sous-traitances, ce qui est pour la CFDT regrettable. En effet, cette disposition permettait aux Etats membres d’obliger les entreprises à ne sous-traiter qu’à des entreprises qui accordent aux travailleurs certaines conditions de rémunération applicables au contractant, y compris celle résultant de conventions collectives d’application non-générale. Mais le Conseil des 28 ministres n’en a pas voulu.
Les ministres du travail reconnaissent également une égalité de traitement entre les travailleurs intérimaires détachés et les travailleurs intérimaires locaux, mais autorise les Etats membres, sous certaines conditions, à prévoir des dérogations.
- L’exclusion du secteur des transports routiers
La question des transports routiers a constitué un point de crispation, puisque les pays de l’Europe centrale (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie) et même l’Espagne demandaient l’exclusion de ce secteur. Au final, les 28 ministres du travail retiennent cette position et précisent que la présente directive ne s’appliquera pas au secteur des transports routiers, alors que ce secteur est particulièrement sujet aux abus… Toutefois, ils prévoient que, pour ce secteur, les règles de la directive de 1996 demeurent applicables et ce, jusqu’à ce qu’une législation spécifique soit adoptée dans le cadre du paquet mobilité.
- Application de la directive et entrée en vigueur des nouvelles règles
S’agissant du délai d’application de la nouvelle directive, l’accord du Conseil entend fixer une période de transposition de trois ans (alors qu’en générale celle-ci est de 2 ans), à laquelle s’ajoute une durée d’un an avant l’application effective des nouvelles dispositions. L’entrée en vigueur des nouvelles règles ne se ferait donc que 4 ans après l’adoption de la directive, ce qui est relativement tard.
- Un accord à demi-teinte…
La CFDT se félicite de l’avancée de la révision de la directive et qu’un accord entre les 28 ministres du travail ait été trouvé notamment sur la durée du détachement et le principe d’une même rémunération pour un même travail au même endroit. Cependant, la CFDT regrette l’exclusion de certains points, tels la question des transports routiers. Par ailleurs, la CFDT plaide pour une reconnaissance de l’application de l’ensemble des accords collectifs, qu’ils soient d’application générale ou non. Une telle reconnaissance figure pourtant dans la position de la commission des affaires sociales du Parlement européen adoptée le 16 octobre dernier et qui doit être adoptée en plénière ces prochains jours.
Pour que la révision de la directive aboutisse, il sera nécessaire d’obtenir un accord entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Pour la CFDT et la Confédération européenne des syndicats, le texte définitif de révision de cette directive qui doit être conclu dans les semaines à venir doit aller dans le sens d’une Europe plus protectrice des travailleurs.
(1) Directive 96/71 du 16.12.96 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
(2) Directive 2014/67/UE du 15.05.14 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
(3) CJUE, 15.02.15, aff. C-341/05.
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