HARCÈLEMENT SEXUEL : DES LIMITES DU « MANAGEMENT » À NE PAS DÉPASSER
Les gestes tactiles et les remarques répétées sur le physique et la tenue d’une salariée peuvent caractériser le harcèlement sexuel et conduire à l’annulation de son licenciement pour inaptitude. Un « comportement tactile spécifique » au « mode managérial » de l’employeur ne saurait le disculper. Cour d’appel de Colmar, 12.09.17, n°17/1218.
- Faits, procédure, prétentions
Une salariée, embauchée comme dessinatrice en 2011, a été placée en arrêt de travail à partir de décembre 2013. En mars 2014, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude « totale et définitive à tout poste de travail dans l’entreprise ».
A la suite de quoi, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement, puis licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
Considérant que son licenciement était la conséquence du harcèlement sexuel qu’elle avait subi et qui avait, selon elle, conduit à son inaptitude, la salariée a décidé de saisir le conseil de prud’hommes pour demander des dommages-intérêts et des rappels de salaire.
En première instance, les juges prud’homaux ont accueilli ses demandes, jugeant que la salariée avait bien été victime de harcèlement sexuel.
L’employeur a alors fait appel, se prévalant d’un simple comportement managérial spécifique. Pour autant, les juges ont décidé que le harcèlement était constitué et que, dès lors, le licenciement pour inaptitude devait être annulé.
Quels étaient donc les faits ayant conduit à retenir l’existence d’un harcèlement et comment reconnaître une telle situation ? En d’autres mots, quels éléments caractérisent, selon les juges, le harcèlement sexuel ?
- La caractérisation du harcèlement sexuel
Selon la cour d’appel, le harcèlement sexuel peut être constitué « par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ».
Les juges s’appuient ainsi sur des critères jurisprudentiels classiques en matière de harcèlement et exigent que les agissements aient une connotation sexuelle, mais aussi qu’ils soient répétés, et non isolés (1).
Qui plus est, ils rappellent l’aménagement de la charge de la preuve spécifique en matière de harcèlement selon lequel la salariée doit présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement », à charge pour le défendeur (l’employeur) de « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement » (2).
A cet égard, les juges relèvent que la salariée avait adressé un courrier à son employeur dans lequel elle lui demandait de cesser ces agissements et y décrivait des faits tels que :
- des remarques persistantes sur ses tenues vestimentaires pas assez courtes, sa silhouette ou ses « courbes pas suffisamment mises en valeur » ;
- les petits noms dont elle était affublée ;
- les gestes déplacés.
- Le harcèlement ne peut être écarté par un mode de management spécifique
Pour sa défense, l’employeur faisait valoir que les faits qui lui étaient reprochés étaient simplement liés à une « ambiance de travail familiale et décomplexée » et à un « comportement tactile spécifique à son mode managérial », dont il n’avait jamais varié depuis la création de son entreprise.
« Que nenni !», répondirent fort heureusement les juges d’appel estimant que les faits relevés, qui n’étaient pas vraiment contestés par l’employeur suffisaient à caractériser un harcèlement et que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’un « comportement tactile spécifique à son mode managérial » pour s’exonérer de cette accusation.
Par ailleurs, il faut rappeler ici que le droit de regard de l'employeur sur la tenue vestimentaire des salariés en général doit être justifié par la nature des fonctions et proportionné au but recherché, ainsi que le prévoit l'article L.1121-1 du Code du travail.
(1) Cass.soc.14.11.07, n°06-45623 ; Crim. 18.11.15, n°14-85591 ; Cass. soc.19.10.11.
(2) Art.L.1154-1 C.trav.
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