MP2013, une rive sur deux ?
Elodie Crézé
Présenté comme le fil rouge de l'année capitale, le lien entre les deux rives de la Méditerranée pourrait n'être finalement que la première pierre d'un pont jeté négligemment vers la côte africaine. Une rive trop lointaine au regard des ambitions affichées de l'association. Bernard Latarjet, autrefois directeur général de l'événement évoquait, aux prémices du dossier de candidature, "la construction d'une citoyenneté euro-méditerranéenne fondée sur un socle de valeurs partagées".
Le journaliste algérien Améziane Ferhani rappelait, dans une chronique d'El Watan, à la veille du lancement de l'année capitale à Marseille, que "les organisateurs de MP2013 avaient mentionné dans leur rapport de candidature la fameuse galéjade 'Marseille, 49e wilaya d'Algérie' pour illustrer le cosmopolisme de la ville où l'histoire a poussé ou attiré de nombreuses nationalités, cultures et religions". C'est dire si ce fil rouge repose sur un socle solide, soutenu par nos voisins méditerranéens.
Au niveau de la programmation, l'association MP2013 remplit largement ses objectifs en recevant de nombreux artistes du pourtour de la Méditerranée tels la libanaise Mona Hatoum pour l'exposition d'art contemporain Ici Ailleurs, le palestinien Sharif Waked pour l'exposition Cadavre exquis, ou encore l'écrivain algérien Mustapha Benfodil pour son "Anti-livre". La plupart des artistes invités jouissant d'une renommée internationale, ils n'ont eu aucune peine pour se rendre en Provence. Excepté l'artiste égyptien Waël Shawky, en résidence durant 8 mois à Aubagne. Alors que l'artiste était empêché du fait du non-renouvellement de son visa, les organisateurs de MP2013 ont été contraints d'intervenir directement auprès de l'ambassade de France au Caire par l'entremise de Julie Chenot, en charge des relations internationales pour MP2013.
Lettres d'invitation
L'association envoie également des lettres d'invitation pour faciliter l'obtention des visas. Plus encore, pour décrocher les autorisations de travail, MP2013 centralise toutes les demandes et se coordonne avec la Direccte. Pour la délivrance des visas des artistes en collaboration avec l'association, ils bénéficient d'un système spécial existant pour les grands événements (telle l'année capitale) où les demandes sont traitées par la sous-direction des visas à Nantes. Mieux vaut, en effet, se prémunir d'éventuels blocages.
Des craintes bien légitimes au regard de difficultés antérieures. L'année dernière, Cristiano Carpanini, directeur artistique du festival Dansem n'était pas parvenu à faire venir des artistes "non professionnels" tunisiens, qui devaient figurer dans le spectacle du chorégraphe tunisien Nejib Ben Khalfallah. "Aujourd'hui, constate le directeur artistique, depuis l'édition 2012, nous n'avons pas rencontré de difficultés d'obtention de visa, surtout pour des artistes tunisiens ou libanais que nous avons eu occasion d'inviter cette année". Autre incident regrettable, survenu l'année 2010, un partenariat entre le théâtre de Lenche et le Théâtre National algérien n'avait pas abouti, les visas n'ayant pas été accordés. En novembre prochain, vingt comédiens de ce même théâtre algérien sont attendus pour présenter Les Paravents de Jean Genet au théâtre de Lenche.
Le Maghreb non prioritaire
Si MP2013 semble avoir pris certaines précautions pour faire venir les artistes invités, l'histoire s'annonce tout autre pour les journalistes de l'autre rive. Sur ce point, Julie Chenot indique que"pour les journalistes, nous sollicitons également cette procédure [spéciale "Grands événements" voir ci-dessus - ndlr] mais c'est plus compliqué puisqu'on n'est pas averti de leur venue trois mois à l'avance !" Lors du week-end de lancement les 12 et 13 janvier dernier, un voyage de presse avait été organisé pour faire venir des journalistes tunisiens. Depuis, rien.
C'est l'agence de communication parisienne Claudine Colin qui est chargée d'organiser de tels voyages. Or, Diane Junqa, chargée des relations internationales pour l'agence annonce qu'un deuxième voyage de presse sera organisé en juin prochain pour l'exposition du Grand atelier du midi, "mais nous ne savons pas encore quels titres de presse étrangers ni quels journalistes nous allons inviter." L'agence précise qu'elle vise "les pays du Maghreb aussi bien que ceux d'Europe, des Etats-Unis ou la Turquie par exemple". Ainsi, les pays du pourtour de la Méditerranée ne semblent pas spécialement prioritaires.
Par ailleurs, poursuit-elle, "nous lancerons les invitations un mois et demi avant." Comprenez donc au dernier moment, alors que pour certains pays, l'on peut sans peine imaginer les difficultés rencontrées pour acquérir un visa. Et notamment pour les Syriens, les Palestiniens ou encore les Algériens, comme en témoigne la plasticienne algérienne Amina Menia, persuadée que "depuis l'affaire de la prise d'otages d'In Amenas, en Algérie, tous les pays vont revoir leur politique de visa. On connaît la chanson ici. Pendant des années de terrorisme et les lourdes menaces qui pesaient sur nous, les visas étaient refusés. Je pense bien qu'on va replonger dans cette incompréhension."
Refoulés de partout
En novembre dernier, la ministre de la culture Aurélie Filippetti était venue à Marseille à l'occasion de la remise de la programmation de Marseille-Provence 2013. Interrogée sur la mise en place d'une mesure pour faciliter l'obtention des visas pour les Méditerranéens de l'autre rive - à l'occasion de cette année spéciale - la ministre avait préféré détourner le regard en signe d'indifférence.
Trois mois après et l'année capitale bien entamée, il semblerait que rien n'est encore envisagé pour les éventuels touristes de l'autre rive. De l'autre côté, on s'interroge, comme Améziane Ferhani, invité lors de la conférence d'annonce du pré programme en 2012. "J'étais alors le seul journaliste algérien présent. Et depuis, plus de contact. A ma connaissance, aucun confrère algérien n'a été invité à Marseille." Celui-ci concluait sa chronique à la veille du lancement des festivités de MP2013, un tantinet sceptique : "le soir du réveillon, à Marseille, un petit groupe de cinq étudiants et étudiantes maghrébins, par ailleurs enthousiastes à l'égard de MP2013 et voulant simplement fêter le nouvel an dans un esprit de cosmopolitisme, se sont fait refouler de partout. Ils ont marché jusqu'à l'aube, méditant l'appel généreux du président de l'événement sur le site officiel qui se conclut ainsi : 'Vous êtes ici chez vous !'. C'était vite dit." Wait and see.
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