FAIRE DE LA SANTÉ AU TRAVAIL UN AXE CLÉ DE L’ACTION SYNDICALE
La pénibilité et la prévention des risques physiques et psychiques sont des sujets au cœur de l’action syndicale. Partout dans l’organisation, des militants innovent et agissent sur ces questions, en fonction de leurs spécificités professionnelles ou au niveau interprofessionnel.
Plusieurs études récentes* sont venues le rappeler : la santé des salariés et des agents reste douloureusement impactée par leur activité au travail. Dans des formes et des proportions en constante évolution, comme l’explorera la journée sur les conditions de travail dans les fonctions publiques organisée le 20 mars prochain par la Fédération Interco. La pénibilité fait partie des premiers sujets de mobilisation des équipes. Les aléas dans la mise en œuvre du compte professionnel de prévention (C2P) – ex-compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) –, stabilisé depuis la publication des décrets d’application le 29 décembre 2017, n’ont pas dissuadé les équipes de s’en saisir pour effectuer auprès des salariés un véritable travail d’information et de prévention. Après plusieurs actions auprès de salariés agricoles, la Fédération générale de l’agroalimentaire (FGA) a décidé d’approfondir la question en 2018. Le Syndicat des services du Morbihan, sous l’impulsion de sa secrétaire générale, Sandrine Villalon, mène un travail de sensibilisation et d’information auprès des salariés des blanchisseries et des coiffeurs, ayant saisi l’opportunité d’un accord pénibilité signé dans ces deux branches professionnelles. « Parler de pénibilité aux salariés, c’est très intéressant, mais c’est souvent très vague. Alors que là, nous pouvons engager la discussion avec des éléments très concrets : on leur demande s’ils ont ouvert leur compte pénibilité, on les intéresse aux risques liés aux produits chimiques avec lesquels ils travaillent, etc. », explique Sandrine, qui y voit aussi un vecteur au développement.
Faire du maintien dans l’emploi une priorité
L’organisation du travail au service de la santé
Chaque année, la CFDT-Métallurgie organise partout en France des journées « santé au travail » qui réunissent des élus d’entreprise autour d’un thème précis. Après le maintien de l’emploi en 2017, les militants sont invités cette année à réfléchir à l’organisation du travail. « Notre objectif est de réinterroger les pratiques syndicales dans l’entreprise afin de mieux peser sur la question de la santé des travailleurs », explique Stéphane Destugues, secrétaire national fédéral. En s’appuyant sur l’enquête Parlons travail et sur tous les travaux de la fédération sur le lean management, les élus sont ainsi invités à réfléchir à la manière dont ils pourraient convaincre leurs directions de faire de l’organisation du travail un sujet de négociation, ou du moins de discussions.
La question est particulièrement épineuse tant cette approche est éloignée des pratiques patronales habituelles. Les environ soixante militants de la métallurgie réunis à Beauvais (Picardie) le 23 janvier dernier lors d’une des premières journées « santé au travail » de l’année ont tous souligné cette difficulté : « Les directions mettent en place des méthodes qualité mais, finalement, ce sont elles qui nous demandent de ne pas les appliquer quand il y a trop d’activité », souligne un militant. « On est sans arrêt consultés, mais cela s’arrête là, renchérit un collègue. Sans compter qu’à chaque changement de manager, on a droit à une nouvelle procédure. » Dans la plupart des entreprises représentées ce jour-là, les salariés ont bien des temps de discussion, mais les élus pointent leur faible autonomie à régler les petites difficultés du quotidien. « On pourrait peut-être noter les entreprises en fonction de leurs pratiques », propose un militant tout en soulignant l’ampleur de la tâche.
À la fois intéressés et déstabilisés par cette approche de la santé au travail, les élus ont finalement davantage d’interrogations que de revendications concrètes. Il s’agit pour eux d’une première approche de la politique globale menée par la CFDT autour du travail. « L’année prochaine, nous parlerons des risques psychosociaux », annonce Stéphane Destugues en concluant cette journée « santé au travail », devenue l’un des rendez-vous incontournables des militants de la métallurgie.
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La prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l’emploi se sont également affirmés, au fil des années, comme des thématiques prioritaires de l’action syndicale. Précurseure, l’ex-Union régionale interprofessionnelle (URI) Rhône-Alpes en a fait son cheval de bataille depuis le début des années 2000, réussissant à impulser une politique territoriale concertée de maintien dans l’emploi, avec tous les acteurs concernés : employeurs, médecins du travail, Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), etc. Elle est parvenue à la faire inscrire dans le plan de travail du Croct (conseil régional d’orientation des conditions de travail), de façon à « rendre le dispositif plus efficient encore », souligne Jean-Pierre Laurenson, secrétaire régional chargé du dossier santé au travail. « Grâce à cette expérience, nous avons développé des compétences en interne sur ce sujet et mis en place, dans chaque union départementale, un référent santé au travail et un référent handicap, capables d’aider les équipes syndicales dans les entreprises à agir dès lors qu’elles rencontrent des problématiques d’inaptitude. » Avec « 10 000 salariés licenciés à la suite d’un avis d’inaptitude en 2016 dans la région », inutile de contester « l’importance de travailler le plus en amont possible pour faire des propositions de reclassement, d’aménagement de poste, etc. ».
Un réseau de 170 militants au niveau national
Agir en faveur du maintien dans l’emploi est aussi une priorité de longue date de l’ex-URI Alsace, avec la mise en place, depuis 2006, de permanences médico-légales consacrées aux accidents du travail et maladies professionnelles et d’un réseau national de 170 militants spécialistes du sujet. Conçues initialement pour apporter aide et accompagnement aux adhérents en rapport avec leurs questions de reconnaissance et d’indemnisation en matière d’AT-MP, ces permanences se sont élargies aux problématiques de maintien dans l’emploi. Originalité de la démarche : elle part des situations de travail qui ont conduit aux accidents ou maladies, les analyse puis propose des améliorations. « Cette analyse fine du travail réel nous permet de faire la démonstration du lien entre l’atteinte à la santé et le travail. Cela nous donne des arguments pour que la situation de travail change », explique Raymond Buchholzer, responsable de la permanence de Mulhouse. Cette expertise, reconnue, a permis d’impulser plusieurs actions spécifiques dans le cadre du plan régional santé au travail (PRST). Le déploiement des permanences sur l’ensemble de la nouvelle région a en outre été acté lors du congrès de création de l’URI Grand Est, en décembre dernier.
Une hausse significative des risques psychosociaux
La prévention des risques psychosociaux (RPS) devient aussi un sujet phare pour les équipes. Le dernier bilan de l’assurance-maladie le confirme : les RPS sont en hausse significative, avec en 2016 plus de 10 000 cas d’affections psychiques (dépressions, troubles anxio-généralisés, états de stress post-traumatique…) reconnus comme accidents du travail et 596 en tant que maladies professionnelles. Certes, cela ne représente « que » 1,6 % du total des 626 000 accidents du travail reconnus cette année-là, mais ils sont en augmentation, « alors même que le nombre d’accidents du travail d’autre nature baisse », comme l’indique l’étude. Face à ces risques, complexes à appréhender, les équipes et structures CFDT s’investissent progressivement. À l’instar de la Fédération générale des Mines et de la Métallurgie (FGMM), qui, sans attendre le cycle 2019 de journées « santé au travail » qui sera consacré au sujet (lire l’encadré),a organisé le 16 janvier dernier une première journée de sensibilisation de ses militants aux risques psychosociaux.
Le besoin d’accompagnement des militants sur ces questions est réel, tant il est compliqué de déceler ces situations limites – collègue proche du burn-out (syndrome d’épuisement professionnel), signaux de détresse préludes à une dépression ou pire, à une tentative de suicide. Et il est tout aussi délicat de savoir comment les accompagner. D’ailleurs, les militants, pas toujours outillés pour y faire face, peuvent eux-mêmes se retrouver dans ces situations de détresse. Partant de ce constat, la Fédération générale des Transports et de l’Environnement (FGTE) a mis au point une formation de prévention aux RPS depuis deux ans. « Il faut savoir le reconnaître : le mandat est parfois difficile et peut conduire nos militants à des situations de burn-out », explique Monique Rabussier, chargée de mission à la FGTE et cocréatrice de ce programme avec l’experte en risques psychosociaux Djamila Gacem, du cabinet Secafi. Avoir à négocier un plan social, accompagner des salariés en difficulté, tout cela confronte à des charges émotionnelles fortes qui peuvent mettre la santé des militants à rude épreuve, avec des conséquences sur le sommeil, l’alimentation, etc. Lors de la formation, les militants apprennent notamment des techniques d’entretien visant à garder la bonne distance et ne pas s’impliquer affectivement dans des situations difficiles. « On n’est ni médecin, ni psy, ni assistante sociale, ni responsable des ressources humaines… On est des militants, et il faut savoir quelle attitude adopter pour ne pas tout prendre sur les épaules », insiste Monique Rabussier. La santé au travail concerne particulièrement nos militants !
L’enquête de la Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) sur les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux (no 082, décembre 2017) et le bilan de l’assurance-maladie.
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