Si Marseille m'était contée…
IAM, tête d’affiche d’une thèse de doctorat ? Pourquoi pas ! Alors que le groupe marseillais vient tout juste de sortir Arts martiens, son 6e album, rencontre avec Sophie Zali, une jeune chercheuse de l’Université d’Aix-Marseille qui consacre ses travaux au hip-hop marseillais.
Elle ne rappe pas, mais elle se bat avec eux. Pour eux, et à sa manière, en portant le rap et le hip-hop sur les bancs de l’université. Car Sophie Zali en a marre. Marre de n’entendre que du négatif sur cette culture qu’elle aime tant, sur cette musique et ce flow de paroles qui la portent depuis son adolescence. Cette jeune chercheuse en linguistique s’est donc lancée dans un challenge de taille : tenter d’apporter un peu de légitimité au hip-hop en y consacrant sa thèse de doctorat.
Pour cela, elle est allée chercher le rap là où il est le plus identitaire : Marseille. « Le matin, je ne m’attends pas à trouver du rap, mais je le trouve, explique-t-elle. Et tous les soirs, à la sortie de la fac Saint-Charles, c’est pareil : je vois des jeunes qui rappent, qui dansent. A Marseille, le hip-hop est toujours là : il y a vraiment quelque chose de culturel, quelque chose que tu ne peux pas ressentir à Aix, à Nice, ou dans d’autres villes du sud » poursuit la jeune femme, passionnée.
2+2 = 4000
Marseille est en effet la deuxième ville en France après Paris à avoir reçu le rap à la fin des années 80. Un fait que Sophie explique par deux facteurs : une réalité sociologique, d’abord, et une autre, plus médiatique. « Le hip-hop est né dans les années 70 dans les ghettos newyorkais… Le hip-hop est né de rien si ce n’est d’une crise, celle d’une jeunesse laissée de côté qui trouvait enfin une voix pour s’exprimer, et exister. »L’équation, même si elle est loin d’être aussi simple, fait donc penser que là où il y a pauvreté, là où il y crise, il y a besoin de s’exprimer, et donc de rapper.
Quand la culture hip-hop débarque en France au début des années 80, elle atteint ainsi presqu'au même moment Marseille : l’arrivée sur le devant de la scène d’IAM en 1991 avec De la Planète Mars, le succès dans les bacs de leurs albums (dont le plus gros L’école du micro d’argent en 1997) jusqu’à la reconnaissance du groupe aux victoires de la musique la même année, participent à imposer définitivement Marseille comme lieu majeur du rap en France. D’autres noms marseillais suivront : Psy 4 de la rime,Keny Arkana, la Fonky Family ou plus récemmentDeen Burbigo.
Médias, mon amour
Fi cependant des stéréotypes et des raccourcis un peu trop rapides pour la jeune doctorante : « Attention, déjà, il y a de la galère, des banlieues, et de la violence partout en France. Et plus encore, même si le rap est encore souvent associé aux plus défavorisés et aux quartiers les plus en marge, c’est à mon avis plus un sentiment qu’une réalité scientifique. Aujourd’hui, n’importe qui peut rapper et se sentir légitime pour le faire. C’était moins le cas quand le rap est né aux USA... ». Pourquoi Marseille, alors ?... « C’est vrai que c’est une ville où, on le sait, il y a beaucoup de violence, et une certaine jeunesse oubliée. Mais c’est aussi beaucoup une question de médias. » répond Sophie.
La préférence donnée à Marseille pour le rap dans l’industrie de la musique serait ainsi liée à une nécessaire légitimité, un certain « to be true to the street » américain : « si tu es pauvre et que tu viens de la rue, alors c’est bon… ». Autrement dit, ne peut rapper qui veut, et mieux vaut venir de Marseille que de Marly-Gomont pour être crédible dans le milieu… Sans compter que le rap marseillais permet d’accentuer l’opposition traditionnelle nord-sud avec Paris, ce qui n’est pas pour déplaire aux médias : « ça permet à certains de s’en sortir, et tant mieux pour eux. Mais pas tous, et pas de la même manière » conclut Sophie.
The “signifying monkey”, ou le rap à double-sens
La thésarde, elle, ne s’intéresse pas qu’aux rappeurs médiatisés : « ce sont tous les jeunes de nos quartiers qui vivent rap : mais on ne les voit pas, on ne les entend pas ». Son but, au-delà d’un pur aspect scientifique : tenter de définir, de cerner et de donner une forme à ce qu’est le rap, souvent critiqué et perçu de manière confuse… Et peut-être surtout d’amener à le faire connaître en le rendant plus accessible : « avant d’être des paroles violentes, il y a autre chose dans le rap : une double lecture du langage, que les rappeurs américains appellent le signifying monkey. En lisant entre les lignes, le rap peut vraiment aider à comprendre certaines colères. »
Linguiste de formation, Sophie base son travail sur le langage. Sa question de départ est relativement simple : si l’on peut parler de mondialisation de la culture hip-hop depuis les années 80, notamment dans le graff et autres éléments de la culture hip-hop tels que le breakdance ou le DJing, est-il possible de parler de la même manière d’une mondialisation du langage hip-hop ? Autrement dit, la diffusion du rap américain a-t-elle engendré la création de langages hip-hop locaux ? Pour résumer, enfin, existe-t-il un langage hip-hop marseillais, et si oui, quelles en sont ses caractéristiques ?
Des US au Maghreb : chronique d’une influence plurilingue
« La hess », « salam », « inch allah », “khaliss”… Les emprunts à l’arabe dus à la forte immigration maghrébine du sud de la France sont par exemple nombreux dans le rap marseillais… Tout comme les nombreuses interactions et interpellations du public, tendance cette fois directement héritée du hip-hop US ! Ce sont donc ces contacts de langue, ces variations et ces particularités que cherche à isoler Sophie pour mieux saisir l’acte langagier spécifique à Marseille. Pour cela, elle effectue d’ailleurs le même travail à Birmingham… Afin de comparer, au final, langage hip-hop US, anglais et français… Et en tirer les conclusions nécessaires.
Des conclusions qui se révèleront certainement, d’un point de vue scientifique, extrêmement intéressantes pour la recherche universitaire, qui a jusque là peu traité l’aspect linguistique du hip-hop. Plus largement, la jeune chercheuse voudrait aussi contribuer à légitimer et augmenter l’étude de la culture hip-hop dans le milieu universitaire. Car si les Hip-hop studies, nées à la fin des années 90, sont très appréciées aux Etats-Unis, Sophie sent plus de réticences en France.
« Le vrai Nicolas Sarkozy ? »
« Ici, il faut quand même se battre, déplore en effet la jeune femme. Je pense que cela a trait à tout un mode de rapport au savoir. Par exemple, Wellesley College, aux Etats-Unis, où j’ai été assistante de français pendant un an, propose un cours sur « the real Barack Obama ». Est-ce qu’on pourrait sérieusement imaginer en France un cours générique sur« le vrai Nicolas Sarkozy » ? Là-bas, tout porte à être étudié. En France, je crois qu’il y a encore de la condescendance, une sorte de mépris qui prouve un manque d’ouverture d’esprit : quand on parle de hip-hop, c’est forcément marginal et connoté négativement. »Un constat qui reste peut-être encore également vrai pour nombre d’entre nous… Allez, si je m’y suis mise, vous pouvez le faire aussi. Merci Sophie.
Pour finir en musique, c'est Sophie qui a choisi : le petit dernier d'IAM, Notre Dame veille... Et devinez quoi : même si le clip est à New-York, berceau du hip-hop, ça parle de Marseille !
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