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L'open data
est paré de trois vertus : il favorise la transparence de l'action publique, il
est source de croissance économique et d'innovation, il est enfin un levier de
modernisation de l'administration elle-même. Cette troisième affirmation a été
utilisée par le gouvernement dans le cadre de la mise en oeuvre de la MAP,
début 2013. Mais jusque-là, bien peu d'exemples venaient étayer l'argument. Ce
n'est plus le cas : à l'étranger, et désormais en France, certaines initiatives
montrent que oui, l'open data peut être un levier de modernisation des
administrations, de l'Etat comme des collectivités territoriales.
Trouver les restaurants qui rejettent
leurs huiles usagées dans les égouts en croisant une poignée de jeux de données
: le travail de la « geek
squad » de New York illustre les perspectives ouvertes par
l’utilisation, par les administrations, en interne, des données, une des
promesses de l’open data.
En France, des réutilisations aussi
poussées et spectaculaires se font toujours attendre dans les administrations
de l’Etat ou des collectivités territoriales. L’ouverture récente des données,
depuis 2010, soit trois ans après les pionniers anglo-saxons, explique cette
timidité. Et peut-être aussi une absence de vision aussi forte qu’à New York,
ville qui se pense comme «
une plate-forme ».
Sans aller jusque-là, Datalocale, le portail du conseil général
de Gironde, s’est fixé comme objectif « de structurer le traitement des données
au sein de la collectivité et d’orienter et de construire [leur] système
d’information en faveur des usages internes. »
« Nous avons standardisé l’accès au
catalogue (1) et développé la culture de la métadonnée (2) pour toutes les typologies et pas uniquement les
données de géolocalisation, afin de partager, déjà, en interne, les données »,
explique Pascal Romain, chef de projet informatique pour le conseil général.
Un travail nécessaire pour bien
appliquer la loi CADA de
1978 sur l’accès aux documents administratifs et la réutilisation
des informations publiques, la directive PSI de
2003 et bientôt la loi de décentralisation qui devrait rendre obligatoire
l’open data pour les collectivités territoriales de plus de 3500 habitants, ou
du moins l’accès sous format électronique.
Datalocale va donc plus loin en
incitant les services du conseil général, et les autres collectivités invitées
à publier leurs données sur la plateforme, à adopter des standards qui
facilitent la mise à disposition sous des formats exploitables.
Données remontantes - Pascal Romain ajoute que son équipe travaille sur un prototype permettant
que les données soient interrogeables de façon croisée, grâce à
l’interopérabilité. « Dans le cas du collège, les données viennent de
différents producteurs, illustre-t-il. Le conseil général produit celles
concernant les bâtiments, l’équipement numérique, les transports, etc., et le
rectorat celles relatives aux options, à la capacité d’accueil, au taux de
réussite ou de redoublement… Nous travaillons sur des descripteurs communs et
une interface de navigation qui efface l’aspect technique. Il s’agit aussi
d’appliquer la directive
Inspire [sur l’harmonisation des données géographiques, ndlr],
utilisée surtout jusqu’à présent par les professionnels ».
Deux projets déjà lancés associent
en outre le point de vue des citoyens à celui des administrations pour «
faciliter les métiers de la collectivité », poursuit-il. Le conseil général est
chargé de la mise en oeuvre d’un plan départemental de la gestion des déchets –
tri. Nous associons les usagers pour aboutir à un service dématérialisé plus
complet et plus incitatif. Cela facilitera la localisation et la composition
des différents services (recyclage, collecteur, etc.) ».
De même, il espère que la gestion des chemins de randonnée, qui passe aussi par un plan départemental, sera améliorée grâce à une application en partie crowdsourcée (3), basée sur Open Street Map, le service de cartographie libre.
De même, il espère que la gestion des chemins de randonnée, qui passe aussi par un plan départemental, sera améliorée grâce à une application en partie crowdsourcée (3), basée sur Open Street Map, le service de cartographie libre.
Le crowdsourcing fait aussi partie
des objectifs de l’open data
parisien. Mourad Rezgui, de la mission transverse du système
d’information à la Ville de Paris, cite par exemple le set (4) des sanisettes : les gens pourraient signaler des
dysfonctionnements aux agents en charge de l’entretien. Il note toutefois que
cela pose « le problème de la validation de l’information : combien de
personnes doivent signaler un problème, pour considérer qu’il est réel ? »
Fini les négociations entre services rivaux - Deux ans après le lancement du portail de Montpellier,
Jean-Marie Bourgogne, directeur du programme Montpellier Territoire Numerique,
constate que l’open data est un travail de longue haleine, comme tous ses
homologues.
« Actuellement, environ 60% des services ont publié leurs données. Pour les autres services, soit ils n’ont pas de données publiables (inexistantes, inexploitables, inintéressantes ou protégées), soit il reste encore des données à produire (les archives par exemple). Il ne s’agit pas de refus de principe, tous sont sensibilisés. Dans certains cas enfin, il ne s’agit pas de services mais d’opérateurs étroitement liés à la mairie (SEM Aménagement, CCAS, Office de Tourisme). Ceux-là sont quand même plus difficile à convaincre, soit parce qu’ils opèrent dans un contexte commercial (SEM et OT), soit la nature de leur service et leur culture restent éloignés de ces sujets numériques », indique-t-il.
« Actuellement, environ 60% des services ont publié leurs données. Pour les autres services, soit ils n’ont pas de données publiables (inexistantes, inexploitables, inintéressantes ou protégées), soit il reste encore des données à produire (les archives par exemple). Il ne s’agit pas de refus de principe, tous sont sensibilisés. Dans certains cas enfin, il ne s’agit pas de services mais d’opérateurs étroitement liés à la mairie (SEM Aménagement, CCAS, Office de Tourisme). Ceux-là sont quand même plus difficile à convaincre, soit parce qu’ils opèrent dans un contexte commercial (SEM et OT), soit la nature de leur service et leur culture restent éloignés de ces sujets numériques », indique-t-il.
Mais déjà, il relève un point
encourageant : « Cela améliore l’efficacité interservices : tout le monde
passait son temps à négocier avec le service voisin pour avoir ses données, et
la collaboration est parfois difficile. La tendance est à des SIG par métier,
ce qui peut engendrer des conflits de pouvoir. Il n’y a ainsi toujours pas de
cartographie centrale, avec la voirie, l’eau, le cadastre. Mais les gens ont de
plus en plus le réflexe : “est-ce que les données sont sur le site ?” ».
Jean-Marie Bourgogne se félicite
aussi de ce que le conseil général ou le conseil régional piochent dans leur
catalogue : « Il y a autant d’usages internes qu’inter-institutions ».
De même, Erwane Morette-Monthubert, élue en charge des nouvelles technologies à la mairie de Toulouse, note que le portail de Toulouse Métropole est utilisé « par des toutes petites communes, sans DSI : elles récupèrent des données sur la voirie, les budgets primitifs, etc. »
De même, Erwane Morette-Monthubert, élue en charge des nouvelles technologies à la mairie de Toulouse, note que le portail de Toulouse Métropole est utilisé « par des toutes petites communes, sans DSI : elles récupèrent des données sur la voirie, les budgets primitifs, etc. »
Passer à l’acte II de l’open data - « Les premiers bénéfices seront en interne, estime
même Pierre-Paul Pénillard, directeur de projet Open data 71 en Saône et Loire. C’est le
point de vue du conseil général. On a le potentiel pour ces usages. Pour le
moment, nous avons passé l’acte I de l’open data, celui de l’appropriation.
Nous sommes restés dans notre cercle de spécialistes, et nous manquons encore
d’ensembles de données cohérents et finis. Cela fait six mois seulement que je
parle de la modernisation de l’administration ; l’acte II donnera lieu à
davantage de retombées concrètes. »
Il s’agira ainsi d’améliorer les
processus de saisie de données, pour qu’ils soient plus complets dès l’origine.
Pierre-Paul Pénillard évoque aussi la possibilité de faire du contrôle de
gestion « autrement », par exemple avec des datavisualisations en plus des
actuels tableaux de bord, afin de « mieux voir les données, les comparer, via
un outil commun plus facile à mettre en oeuvre », et « mesurer l’efficience et
valoriser le travail » le cas échéant. Et de tisser le parallèle : « comme dans
toute entreprise, nous avons des axes de travail, que l’open data peut
déclencher ».
« Réussir ce qu’on n’a pas réussi depuis quinze ans » - De façon concrète, il cite la
lecture publique, qui vient d’entrer
dans un processus d’ouverture de ses données : « L’opération va nous donner une
visibilité sur l’ensemble des catalogues des bibliothèques. L’open data permet
de réussir ce qu’on n’a pas réussi depuis quinze ans ! Nous axerons ainsi mieux
nos politiques publiques. »
Autre projet caressé, « un
observatoire de l’eau en Saône-et-Loire. Nous nous occupons des stations
d’assainissement, mais d’autres données sont gérées par des syndicats, des
communes, des associations… L’open data peut jouer un rôle fédérateur. Cet outil
serait à disposition de tous les acteurs. »
La communauté urbaine de Bordeaux
(CUB) a de son côté développé une API
pour produire des cartes et croiser des données, qui a ensuite été mise à
disposition.
« Les données viennent de la CUB, mais aussi du conseil général ou du système d’information des usagers », précisent Pamela Ferra-Cabrillat, directrice du numérique à la CUB, et Armelle Gilliard, chef de projet des services numériques. Cet outil est utilisé pour produire la cartographie des parcs et jardins, pour le PLU, la collecte des déchets ou encore l’Eté métropolitain, une programmation estivale favorisant la découverte du territoire.
« Comme les agents constatent que l’open data leur est utile, ils acceptent de changer d’outil, par exemple sur la déportation des données de circulation », complètent-elles.
« Les données viennent de la CUB, mais aussi du conseil général ou du système d’information des usagers », précisent Pamela Ferra-Cabrillat, directrice du numérique à la CUB, et Armelle Gilliard, chef de projet des services numériques. Cet outil est utilisé pour produire la cartographie des parcs et jardins, pour le PLU, la collecte des déchets ou encore l’Eté métropolitain, une programmation estivale favorisant la découverte du territoire.
« Comme les agents constatent que l’open data leur est utile, ils acceptent de changer d’outil, par exemple sur la déportation des données de circulation », complètent-elles.
S’il est nécessaire d’avoir des
fichiers plus complets, un écueil inverse existe, que l’open data permet de
réduire. « La démarche nous a permis d’identifier des pratiques redondantes de
collecte de données », rapporte Mourad Rezgui. Et donc de centraliser dans un
fichier unique avec un seul format.
Avec… ou sans data-analyste - L’étape suivante pourrait, entre autres, passer par
l’embauche de data-analystes, capables de fouiller avec créativité dans les
données, connues ou obscures.
Quand on demande à Pamela Ferra-Cabrillat et Armelle Gilliard si la CUB compte un data-analyste dans ses rangs, elles déplorent en souriant : « Malheureusement non, nous n’en sommes pas encore à ce stade, mais les exemples new-yorkais nous donnent envie. La direction du numérique date de 2011 seulement ; l’open data est un process lent, avec des logiques nouvelles à intégrer. Nous n’avons pas encore eu le temps de rencontrer tous les agents. Mais on voit que ce type d’emploi émerge ».
À défaut, la CUB s’associe avec des partenaires extérieurs, comme les écoles d’informatique. Dans le cadre de Metrolab, une réflexion autour de la ville intelligente, des ateliers sont organisés, avec la participation de professionnels du big data.
Quand on demande à Pamela Ferra-Cabrillat et Armelle Gilliard si la CUB compte un data-analyste dans ses rangs, elles déplorent en souriant : « Malheureusement non, nous n’en sommes pas encore à ce stade, mais les exemples new-yorkais nous donnent envie. La direction du numérique date de 2011 seulement ; l’open data est un process lent, avec des logiques nouvelles à intégrer. Nous n’avons pas encore eu le temps de rencontrer tous les agents. Mais on voit que ce type d’emploi émerge ».
À défaut, la CUB s’associe avec des partenaires extérieurs, comme les écoles d’informatique. Dans le cadre de Metrolab, une réflexion autour de la ville intelligente, des ateliers sont organisés, avec la participation de professionnels du big data.
En Gironde, « nous avons déjà des
data-analystes, mais plutôt issus de la sociologie ou plutôt orientés
information décisionnelle ou géographique », précise Pascal Romain au conseil
général. Des profils amenés à se pencher bientôt sur l’open data ?
Pierre-Paul Penillard s’interroge : « le data-analyste est-il la bonne personne ? Il nous faudrait plus de datajournalistes pour interroger les données avec un regard extérieur ; la progression interne passe par là. Si c’est nous qui interprétons, on va nous accuser de faire de la politique. On pourrait imaginer des équipes pluridisciplinaires, avec des statisticiens, des datajournalistes, des data-analystes, pour valoriser, ou dévaloriser. »
Pierre-Paul Penillard s’interroge : « le data-analyste est-il la bonne personne ? Il nous faudrait plus de datajournalistes pour interroger les données avec un regard extérieur ; la progression interne passe par là. Si c’est nous qui interprétons, on va nous accuser de faire de la politique. On pourrait imaginer des équipes pluridisciplinaires, avec des statisticiens, des datajournalistes, des data-analystes, pour valoriser, ou dévaloriser. »
Toutefois, il n’est pas nécessaire
de disposer de profils aussi pointus pour trouver des usages pertinents et
inattendus. La curiosité, la volonté de décloisonner, dans l’objectif
d’accroître l’efficacité, comptent aussi.
L’anecdote racontée par ce pompier d’Amsterdam est révélatrice. Bart van Leeuwen raconte comment il a cherché du côté du web des données pour que les hommes du feu arrivent plus vite et plus facilement sur le lieu des accidents.
Il avait besoin de trois types de données : « les travaux de construction et autres activités, la présence de matériaux dangereux dans les bâtiments, les profondeurs d’eau et les obstacles sous l’eau ».
L’anecdote racontée par ce pompier d’Amsterdam est révélatrice. Bart van Leeuwen raconte comment il a cherché du côté du web des données pour que les hommes du feu arrivent plus vite et plus facilement sur le lieu des accidents.
Il avait besoin de trois types de données : « les travaux de construction et autres activités, la présence de matériaux dangereux dans les bâtiments, les profondeurs d’eau et les obstacles sous l’eau ».
Face à la frilosité des services qui
les détenaient, et constatant que d’autres services étaient intéressés par les
données que les pompiers pouvaient fournir, la brigade a commencé à publier des
données sur les accidents, déjà présentes sur le web, mais sous un format non
structuré. Ce qui les a mis en position de force pour demander, à leur tour,
des données. « Il y a eu un effet secondaire intéressant : même en notre sein,
les gens ont commencé à ouvrir l’information pour notre organisation pensée
comme un tout ».
Et au bout du (patient) compte, la brigade va même lancer un site avec ses données en libre accès.
Et au bout du (patient) compte, la brigade va même lancer un site avec ses données en libre accès.
Catalogue :
répertoire de l'ensemble des bases de données mise à disposition - Retourner au texte
Métadonnées
: données décrivant une donnée. Par exemple, pour une photo, il peut s’agir du
réglage de l’appareil qui l’a prise, du lieu de la prise de vue, de son thème,
etc. Les métadonnées facilitent l’organisation, la recherche et la
réutilisation des données. Il existe des standards de métadonnées, Exif
pour les photos, ID3
pour les .mp3, etc. Ce système est essentiel au bon fonctionnement du web des
données, qui vise à relier les données entre elles pour leur donner du sens. - Retourner au texte
C'est-à-dire
alimentée par des informations apportées par les administrés. Le terme vient de
l’anglais « crowd », littéralement « la foule ».
· L’open data, véritable voie de modernisation pour les administrations
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