L'Américain qui avait prévu dès 2006 l'effondrement des marchés a annoncé que ce n'était qu'un début. Les lendemains vont chanter.
Nouriel Roubini est sans aucun doute le plus cosmopolite des grands économistes américains. Né dans une famille juive iranienne d’Istanbul en 1959, le garçon a pas mal bourlingué avant de se fixer aux USA où il a décroché son doctorat d’économie à Harvard en 1988.
C’est à Washington en Septembre 2006 que la notoriété le guettait lorsque il a annoncé devant un parterre d’économistes du FMI aussi distingués qu’incrédules, l’arrivée prochaine d’une crise d’une ampleur difficile à maîtriser avec les outils habituels, qui selon lui, allait d’abord provoquer un effondrement du marché immobilier US suivi d’une récession durable.
Depuis, Nouriel et son site Internet (« The Monitor ») désigné comme le premier site économique mondial par le magazine The Economist en 1999, ont fait du chemin.
Le magicien Roubini
Qu’il est loin le relatif anonymat de 2004, date de création de sa petite entreprise Roubini Global Economics, qui peut se targuer aujourd’hui d’un bon millier de clients facturés annuellement entre 7 500 dollars pour un utilisateur unique et 100 000 dollars pour 50 utilisateurs et plus.
Sans compter la crème de la crème qui s’offre à prix d’or les consultations personnalisées de Dr Catastrophe comme l’ont surnommé les médias bluffés par la qualité de ses prédictions apocalyptiques, dispensées aux happy few tant depuis les locaux du gratte-ciel de Morton street à NY que ceux du bureau de Londres sur High Holborn.
« Le plus important dans ce genre de business c’est que vous devez avoir raison jour après jour » affirme-t-il un brin immodeste pour expliquer son succès. « le fait que j’ai vu juste il y quelques années ne compte pas. Dans cette activité vous devez avoir raison en permanence et cela nécessite beaucoup de travail parce que nous ne sommes pas des prévisionnistes économiques traditionnels. Nous ne prévoyons pas les changements immédiats de l’inflation ou de l’emploi. Nous nous concentrons sur des enjeux analytiques complexes en parvenant à relier tous les paramètres entre eux… » se confiait-il dans le numéro d’octobre 2011 de la revue Institutional Investor.
Les prévisions de Dr Catastrophe
Jeudi 5 juillet, Nouriel a consacré 5 minutes de son temps à répondre à une interview de Bloomberg TV. Col ouvert à la BHL et plus renfrogné que jamais, Dr Catastrophe s’est lâché. Et ça déménage. Y compris lorsque le grand monsieur assène quelques vérités déjà modestement confiées ces derniers mois par vos serviteurs, à nos fidèles lecteurs de Bakchich :
« et bien vous pouvez considérer ce nouveau petit ( !) scandale comme beaucoup d’autres épisodes intervenus récemment et qui suggère l’idée que rien n’a changé depuis le début de la crise financière. La motivation des banques consiste à continuer de tricher, de commettre des actes illégaux ou immoraux. La seule manière d’y mettre un terme c’est de démembrer ces supermarchés de la finance. Lorsque au sein de la même entreprise, vous faites de la banque commerciale, de la banque d’investissement, de la gestion d’actifs, du courtage, de l’assurance, et de la gestion de dérivés de valeurs mobilières, il ne peut y avoir de ‘Chinese Wall’ qui fonctionne et vous êtes confronté à des conflits d’intérêts massifs parce que vous vous trouvez aux deux extrémités de chaque transaction. C’est çà le problème fondamental.
Les banquiers sont cupides. Ils le sont depuis mille ans. La question est moins de savoir s’ils sont plus rapaces aujourd’hui qu’il y a mille ans que d’être certain que l’on peut en minimiser les risques. L’une des façons d’y parvenir est de séparer les activités de telle sorte que vous minimisiez les conflits d’intérêts. Sinon cela se reproduira encore et encore.
Il devrait y avoir des sanctions pénales. Personne n’est encore allé en prison depuis que la crise financière est globale. Les banques font des choses illégales et au pire, elle reçoivent une petite tape et une amende. S’il y en avait qui se retrouvaient en prison, ou pendus dans la rue, il y aurait des leçons à en tirer »
«Le sommet européen est un échec»
« Rien n’a véritablement changé ; c’est comme c’était auparavant. Aux USA vous avez d’avantage de conflits d’intérêts aujourd’hui qu’il y a 4 ans. On y trouve des banques trop grosses pour faire faillite et qui sont de plus en plus exposées à la faillite puisque JP Morgan couvre Washington Mutual et Bear Stearns, Bank of America couvre Merrill Lynch et Countrywide. En clair, des banques trop grosses pour faire faillite se retrouvent avec de multiples conflits d’intérêts et des risques accrus. Les choses se sont donc aggravées et nullement améliorées. Rien n’a changé. »
« Le sommet est un échec. Une semaine après le sommet et une semaine après que la BCE ait décidé de réduire son taux directeur, les taux de la dette espagnole étaient de retour aux alentours de 7% et le marché boursier a baissé de 3%. Donc rien n’a changé, les seuls à considérer le sommet comme un succès sont ceux qui y ont participé mais les marchés attendaient bien d’avantage. Soit que vous parveniez à une mutualisation de la dette pour réduire le spread, soit que la BCE la monétise ou que le bazooka de l’EFSF/MES soit doublé, triplé voire quadruplé. A défaut, les spreads sur l’Italie et l’Espagne vont exploser jour après jour et vous serez confrontés à une crise financière de plus grande ampleur ; pas dans 6 mois mais dans les deux prochaines semaines ».
« Et bien, je pense que la seule institution qui dispose encore d’une puissance de feu suffisante pour résoudre le problème des dettes souveraines c’est la BCE. Pour cela elle doit se lancer dans une politique de monétisation non stérilisée pour des montants illimités, une thèse politiquement incorrecte et considérée comme constitutionnellement illégale ».
Sur la mutualisation de la dette :
« et bien c’est certainement l’Allemagne qui y est la plus opposée mais on constate également une résistance à la mutualisation de la dette sur tout le continent. Les Pays-bas, l’Autriche, la Finlande…La Finlande refuse même le principe d’un rachat de dette sur le marché secondaire au moyen des dispositifs EFSF/MES. Pour un montant infime, ils s’apprêtent à combattre. Ce n’est donc pas seulement Angela Merkel, pas uniquement l’Allemagne, le cœur de la zone Euro ne veut pas prendre le risque de crédit qu’impliquerait la moindre variation de dette mutualisée »
«Il n'y a plus de munitions»
Sur la fuite en avant (kicking the can) :
« En 2013, la faculté des politiques de repousser les échéances va s’épuiser et le déraillement à faible vitesse va faire place à un déraillement à grande vitesse dans la zone Euro. Les USA semblent atteindre la vitesse de décrochage et la récession menace. L’atterrissage de la Chine risque d’être violent au lieu de se faire en douceur et les autres marchés émergents ralentissent aussi brutalement. Tous les BRICS, la Chine, la Russie, l’Inde le Brésil, le Mexique, la Turquie et de nombreux marchés émergents ralentissent à cause de la récession dans la zone Euro, sans parler de la Grande Bretagne et des USA qui refusent d’engager les réformes nécessaires. Et puis finalement, il y a la bombe à retardement d’une guerre possible des USA et Israël contre l’Iran. Les négociations ont échoué. Les sanctions ont échoué. Obama ne veut pas d’une guerre avant les élections mais après, qu’Obama ou Romney soit élu, le risque est grand de voir les USA attaquer l’Iran, les prix doubler du jour au lendemain, donc c’est un ‘Perfect Storm’ qui se prépare.Vous pourriez bien avoir un effondrement de la zone Euro, un naufrage en deux temps des USA, un atterrissage violent de la Chine et d’autres marchés émergents. L’année prochaine pourrait être un Perfect Storm global… »
Sur 2013 pire que 2008 :
« Ce sera sûrement bien pire ; comme en 2008, vous avez la crise financière et économique. En revanche et contrairement à 2008, il n’y a plus de munitions. En 2008, vous pouviez réduire les taux de 6% à 0%, faire du QE1, QE2 voire QE3. Vous pouviez lancer des incitations fiscales représentant jusqu’à 10% du PIB ; vous aviez tout un tas de moyens pour garantir les banques et autres entreprises en difficultés. Aujourd’hui accroître le ‘Quantitative Easing’ devient de moins en moins efficace parce que le problème est la solvabilité pas la liquidité. Les déficits budgétaires sont déjà si grands et chacun doit les réduire, pas les accroître. Il n’y a plus de possibilité de plans de sauvetage des banques puisque ils rencontrent une opposition politique de plus en plus vive et que les gouvernements qui devraient les mettre en œuvre sont quasiment insolvables. Ils ne peuvent même pas faire face à leurs propres besoins alors ceux de leurs banques…Le problème est que par rapport à 2008, nous manquons cruellement de cartouches ; de lapins à sortir du chapeau. Si on assiste à une chute brutale des marchés et à un arrêt complet des économies, vous n’aurez plus les filets de sécurité pour absorber le choc. Nous avons passé les 4 années qui viennent de s’écouler à gaspiller 95% de nos munitions et nous n’en avons pratiquement plus ; c’est pour cela que 2013 pourrait être pire que 2008 ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire