XAVIER EMMANUELLI : “LE MONDE EST SUR LES ROUTES”
Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, a publié Accueillons les migrants !Un ouvrage dans lequel il ouvre des pistes de solution face aux mouvements migratoires qu’il appelle à cesser de considérer comme une simple crise.
Nombre de voix s’élèvent pour interpeller le gouvernement et l’opinion sur la situation des migrants. Vous appelez à un « réveil des consciences ». N’est-ce pas plutôt un appel à l’action qu’il faut lancer ?
Mais bien entendu ! La seule indignation face à ce qui est en train de se passer serait vaine. C’est de solutions dont nous avons besoin. Pour autant, il est important de rappeler certains faits et chiffres, car je ne suis pas sûr qu’on ait mesuré l’ampleur du phénomène. On parle de « crise migratoire », mais non, ce n’est pas une simple crise ! La question des migrants est un phénomène planétaire sans précédent, irréversible, et qui va s’installer dans le temps, probablement sur plusieurs générations. Nous ne sommes pas face à un problème conjoncturel mais structurel, qui impacte profondément l’ensemble de nos sociétés. Le monde est sur les routes.
En 2016, on a recensé 65,6 millions de personnes déplacées de force dans le monde (soit 300 000 de plus qu’en 2015), un chiffre jamais atteint – et ce que l’on oublie souvent de dire, c’est que plus de 80 % des réfugiés le sont dans les pays en développement. L’Europe n’en accueille qu’une infime partie. En réponse, qu’observe-t-on ? Le monde se hérisse de murs. On n’en compte pas moins d’une cinquantaine ! Sans parler des murs symboliques, des ceintures de barbelé, comme dans les îles grecques. Des milliers de personnes vivent enfermées dans des centres de transit, dans des conditions purement inhumaines, dans l’attente de connaître leur sort.
Chaque jour, des personnes qui fuient pour vivre et pour faire vivre leurs enfants meurent noyées en Méditerranée (30 000 depuis 2000). Quant aux conditions d’accueil sur notre territoire, elles ne peuvent que susciter l’indignation : centres d’hébergement saturés, migrants à la rue, violences policières, mineurs isolés… Tout cela est intenable. Mais il serait injuste de ne pas souligner qu’en même temps des tas de gens prennent des initiatives en faveur des migrants. La France est aussi un pays d’accueil et de générosité.
Vous êtes critique vis-à-vis de l’Europe, dont vous dîtes qu’elle est « avachie, impuissante et criminelle » face à la question des migrants. Pour autant, vous affirmez que les solutions ne pourront venir que de l’Europe. Comment ?
L’Europe mène aujourd’hui une politique criminogène : le Règlement Dublin III* produit des clandestins, encourage les réseaux de passeurs et les mafias. Vous avez de l’argent ? Vous pouvez obtenir un quasi-laissez-passer pour l’Europe. Vous n’avez pas ces moyens ? Vous êtes la proie des exigences des passeurs. Et pour le moment, toutes les mesures prises ou envisagées à l’échelle européenne, comme la tentative d’instaurer des quotas de répartition entre les différents pays, en 2015, n’ont rien donné. Ne parlons pas de cet accord signé avec la Turquie en 2016 – pays qualifié d’« origine sûre », un comble ! –, à l’initiative de l’Allemagne, pour gérer les milliers de réfugiés arrivés de Grèce ou d’Italie, et qui confère au président turc Erdoğan une capacité de pression sans égale.
La Commission européenne étudie une proposition visant à instaurer des « quotas permanents d’accueil de demandeurs d’asile » afin de créer un mécanisme automatique de répartition, avec des sanctions financières s’ils ne sont pas respectés. Qu’en pensez-vous ?
Mais quels seraient les moyens de l’Europe pour faire respecter les quotas ? On a tenté ce style de mesures. Ce n’est pas nouveau. Il existe déjà des sanctions, elles ne sont pas appliquées.Le gouvernement prépare un projet de loi pour une refonte du droit d’asile et de l’accueil des migrants. Quelles seraient les mesures prioritaires ?
Je ne sais pas ce que prépare le gouvernement, mais j’évoque dans mon livre plusieurs pistes d’action. À mes yeux, l’une des priorités est d’instaurer des dispositifs afin de faciliter et d’accélérer l’arrivée en France de personnes en situation de grande urgence humanitaire. Ce qui suppose un travail le plus en amont possible dans les pays de transit en Grèce ou au Liban, mais aussi dans les camps en Tunisie, au Niger ou au Maroc.Cette idée de faire un « tri » entre les migrants peut choquer…
Vous n’êtes pas obligé de me suivre. Mais si vous prenez tout le monde, vos capacités d’accueil seront très rapidement dépassées. Et vous n’y arriverez pas. Aucun État, aucun responsable politique ne peut s’engager sur cela, les risques de déstabilisation de nos sociétés seraient trop importants. C’est pourquoi il y a un contresens dans cette notion d’« accueil inconditionnel » : il ne peut pas s’agir d’un accueil inconditionnel en nombre. L’inconditionnalité est qualitative.
Dans votre livre, vous abordez un autre sujet très sensible : la politique de retour. Que préconisez-vous ?
La problématique de l’accueil d’un plus grand nombre de réfugiés et de la mise en œuvre de dispositifs efficaces est parasitée par la présence, sur le sol français, de nombreux étrangers en situation irrégulière.
La question des immigrés clandestins nécessite elle aussi des traitements au cas par cas de l’administration. Leur maintien sur le territoire se fait au détriment des réfugiés qui se trouvent encore dans des pays de transit, en attendant qu’une place se libère pour eux. C’est donc pour cela qu’une attention particulière doit être portée à la politique de retour : il faut construire un système qui évite aux personnes déboutées de devenir des clandestins chez nous. Si l’on ne permet pas un retour dans de bonnes conditions, les personnes reprendront la route… et reviendront.Vous appelez de vos vœux une réforme d’un système d’accueil aujourd’hui inefficace. Que proposez-vous ?
Je déplore en effet l’absence de volonté politique mais aussi l’ambiguïté entre les rôles de l’État, des mairies et des conseils départementaux dans le financement de l’hébergement ou l’insertion des réfugiés… Chacun se repassant le mistigri, si l’on peut dire. Ce que nous risquons, en ne traitant pas la situation des migrants, c’est un durcissement. On le voit en Hongrie, en Tchéquie ou ailleurs dans les ex-pays de l’Est : cela fait le lit des régimes autoritaires. Car on désigne l’autre comme dangereux, fantasmé, comme « le mauvais objet ». Le phénomène du bouc émissaire est connu depuis la nuit des temps. Et c’est un véritable risque pour notre démocratie.
* 49 articles consacrés au droit d’asile et à la responsabilité des pays de l’Union européenne. Exemple : un migrant syrien se rendant au Royaume-Uni est arrêté en Italie où il est avisé qu’il peut déposer une demande d’asile, ce qu’il fait. L’homme continue son périple et est arrêté en France. Les autorités françaises devront renvoyer l’homme en Italie, le pays où sa demande d’asile a été enregistrée.
Propos recueillis par epirat@cfdt.fr
©Photos Nicolas Tavernier/RÉA
Migrants : la résistance citoyenne s’organise
L’annonce d’un projet de loi sur l’immigration en préparation au ministère de l’Intérieur pour début 2018 commence à mobiliser. Et les mois à venir devraient être denses en actions de toutes sortes autour de la situation des migrants. Le 21 novembre, 470 associations et collectifs d’aide aux migrants ont ainsi lancé les « États généraux des migrations, pour une autre politique migratoire », regrettant qu’une telle démarche n’ait pas été à l’agenda du gouvernement. Les premières actions devaient avoir lieu le 18 décembre, partout en France. Amnesty International a par ailleurs lancé la campagne « I Welcome » (www.amnesty.fr/agenda/bus-tour-refugies), avec un bus qui sillonne la France depuis juin dernier (et jusqu’en juin 2018).
De son côté, la CFDT, toujours engagée dans de nombreuses actions localement (ateliers de formation aux droits pour les migrants, à Lyon, par exemple), ne restera pas inactive lors du processus législatif : elle compte bien peser, avec ses propositions. |
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