TRAVAIL DOMINICAL : QUEL BILAN DEUX ANS APRÈS LA LOI ?
La période laissée aux partenaires sociaux pour négocier les contreparties d’une ouverture dominicale touche à sa fin. Dans les accords qu’elle a signés, la CFDT a privilégié l’équité.
Après le BHV Marais en mai 2016, les Galeries Lafayette Haussmann dans la foulée et Le Bon Marché Rive Gauche fin novembre, le Printemps Haussmann est venu rejoindre le club des grands magasins parisiens autorisés à ouvrir sept jours sur sept. L’accord trouvé début 2017 entre la direction et la CFDT, la CFE-CGC et l’Unsa est entré en application ce dimanche 11 juin… près de deux ans après l’instauration de la loi Macron. En août 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait donné la possibilité aux zones touristiques internationales (ZTI) créées pour l’occasion d’ouvrir tous les dimanches de l’année, moyennant un accord collectif fixant le volontariat comme principe préalable et des contreparties bénéficiant aux salariés concernés.
Des ouvertures conditionnées à un accord collectif
« En conditionnant l’ouverture à un accord de branche ou d’entreprise, on a donné un levier d’action syndical qui n’existait pas dans la première version du texte, souligne le secrétaire national Hervé Garnier [à l’origine, une simple prime pour dimanches travaillés était prévue]. Certaines organisations se sont figées dans une opposition dogmatique, d’autres comme la CFDT ont fait le choix de la concertation avec les salariés et de la négociation dans le respect de la ligne fixée au départ : ni généralisation ni banalisation du travail dominical. »
In fine, l’explosion incontrôlée du travail dominical tant craint par certains n’a pas eu lieu. À Paris, où se concentrent douze des vingt et une ZTI, une trentaine d’accords ont été signés, selon les derniers chiffres du ministère. Sur le reste du territoire, ce n’est pas non plus une déferlante. Les disparités entre les différentes zones restent fortes, même si aucun bilan officiel n’a été établi à ce jour. Certaines zones touristiques, comme Marseille centre-ville, où un accord territorial avait été conclu avant la loi pour une ouverture toute l’année, ont finalement renoncé faute de chiffre d’affaires suffisant. D’autres acteurs profitent en revanche des dernières semaines laissées aux partenaires sociaux afin de parvenir à un accord. C’est le cas de Samsonite, Toys“R”Us ou Darty. La loi prévoyait en effet que l’accord fixant les contreparties pour les salariés devrait être signé au plus tard dans les deux ans suivant la promulgation de la loi (soit le 7 août 2017). Certains ont fait traîner les choses, espérant un assouplissement des règles… sans succès.
Un socle minimal de contreparties
Si le travail dominical n’a pas explosé, c’est aussi qu’il y a eu une exigence syndicale forte de la part des équipes. « Partout, les sections syndicales ont fait le job en veillant à respecter un certain nombre de préalables touchant tant aux questions d’emploi qu’à l’organisation et à la qualité de vie au travail », note la Confédération. Dans les secteurs les plus concernés, le commerce en tête, la CFDT a pris le temps de poser les bases d’une plateforme revendicative, explique Steve Mars, chargé du dossier à la Fédération des Services. « Pour tout accord, nous exigeons un socle minimal de contreparties qui touche à la rémunération, avec une majoration de 100 % au minimum, au repos compensateur, à la prise en charge des frais de garde et de transports… Il y a aussi une demande forte d’équité de traitement entre les différents salariés concernés par ces négociations. » Les accords récemment signés témoignent de cette double exigence. Gucci propose ainsi une rémunération au moins égale à 300 % du taux horaire par dimanche travaillé. En Moselle, les contreparties prévues dans l’accord territorial s’appliquent à l’ensemble des 10 000 salariés, sous-traitants compris. Dans les grands magasins parisiens, enfin, la majoration de 100 % proposée aux Galeries Lafayette est devenue la règle dans toutes les enseignes, et un millier d’emplois directs auraient été créés au cours des douze derniers mois. « Il y a une réalité économique sur certaines zones touristiques que l’on ne peut ignorer, poursuit Steve Mars. L’important est qu’il n’y ait pas de dérives et que l’équité de traitement des salariés soit respectée. » L’iniquité, c’est d’ailleurs ce qui a poussé la CFDT à s’opposer, à la fin 2016, à l’accord trouvé chez Nespresso, par refus de contreparties différentes selon que les salariés travaillaient régulièrement ou exceptionnellement le dimanche. C’est encore la CFDT qui a longtemps bloqué les négociations au Printemps : pour parvenir à un accord, la direction a finalement dû accepter que les contreparties s’appliquent à tous les magasins implantés en ZTI (Deauville, Marseille et Cagnes-sur-Mer), et pas au seul navire amiral parisien. Et dans les magasins ouverts dans le cadre des dimanches du maire (douze par an hors ZTI), les salariés bénéficient aussi des frais de garde (60 euros par dimanche travaillé). « Nous tenons beaucoup à la dimension nationale des accords d’entreprise », insiste la CFDT-Services.
Le secteur public est lui aussi concerné
Cette approche globale privilégiée par les secteurs les plus concernés par l’ouverture dominicale ne se cantonne pas au secteur privé. Dans les médiathèques, les équipes Interco sont à pied d’œuvre. À la fin 2016, le syndicat Interco services publics parisiens a choisi de s’engager en faveur de l’ouverture dominicale de plusieurs médiathèques de la capitale (avec contreparties), à condition d’offrir à tous les bibliothécaires de la ville de Paris une revalorisation significative du régime indemnitaire. « Une majorité des agents que nous avons consultés étaient pour une ouverture dominicale, mais ne voulaient pas se sentir lésés. En conditionnant une mesure fondée sur le seul volontariat à une reconnaissance globale de ces agents, dont le régime indemnitaire est le plus faible de la ville de Paris, nous avons fait d’une pierre deux coups. Tout le monde est gagnant », se félicite Françoise Brioux, secrétaire du syndicat. Les résultats des prochaines élections pourraient bien venir récompenser cette stratégie.
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