LICENCIEMENT PAR SMS : L’EMPLOYEUR NE PEUT Y RENONCER QU’AVEC L’ACCORD DU SALARIÉ
Une fois notifié, le licenciement acté par SMS doit être considéré comme définitivement prononcé et ce à l’instar de tous les autres licenciements. Il ne saurait donc par la suite être régularisé via la mise en œuvre d’une procédure de licenciement plus conforme. C’est en substance ce que la Cour de cassation est venue rappeler dans un arrêt rendu au cœur de l’hiver. Cassation sociale n° 18-12.546, 20.02.2019
« Steph, ma décision est prise, tu es licencié ». Voilà en substance les termes pour le moins abruptes du message SMS qu’un employé polyvalent de la société You sushi a eu la désagréable surprise de trouver le 23 mars 2013 sur son téléphone portable. Message aux allures de couperet en provenance du gérant du restaurant pour lequel le salarié travaillait depuis le 11 mai 2011 et qui, accessoirement, exigeait de lui la restitution des clefs de l’établissement pour le lendemain, 24 mars, 13 heures.
- Une (rapide) prise de conscience par l’employeur de son erreur
Point besoin de longuement épiloguer pour arriver à la conclusion qui s’impose : le licenciement ici prononcé était tout à la fois vicié sur la forme et sur le fond. Il devait donc être vu comme irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Certes, la cour de cassation ne proscrit fermement que les seuls licenciements verbaux(1). Ce qui l’a déjà conduit, malgré la lettre de la loi(2), à considérer que la notification d’un licenciement pouvait très bien être réalisée par un autre biais que celui de la lettre recommandée avec accusé de réception. Ainsi, par exemple, d’une remise en mains propres(3) ou bien encore d’un exploit d’huissier(4).
Par essence, le licenciement par SMS ne semble donc pas pouvoir être ipso facto considéré comme irrégulier.
Mais par-delà cet aspect des choses, ce qui marque dans les faits ici relatés, c’est surtout le cumul des infractions : une absence de convocation à entretien préalable, une absence de motivation de la décision de licencier et un caractère pour le moins expéditif de l’opération menée par l’employeur : pas le moindre préavis alors même que le salarié, qui travaillait à son service depuis presque deux ans, avait légalement droit à bénéficier d’un délai de prévenance minimal d’un mois(5).
Après s’être visiblement emporté et avoir fait montre d’un manifeste abus de pouvoir, l’on peut assez facilement imaginer que l’employeur a cru bon de prendre un peu de recul (et aussi, à n’en pas douter, quelques conseils éclairés). Et c’est ainsi que, deux jours après avoir envoyé le message SMS prononçant le licenciement du salarié, il a tenté de corriger le tir :
- d’une part, en lui adressant un second message SMS confirmant certes son licenciement mais lui octroyant finalement son droit à préavis ;
- d’autre part, en lui adressant un courrier recommandé avec accusé de réception le convoquant à un entretien préalable au licenciement pour le 6 avril suivant.
- Une (vaine) tentative de régularisation patronale du licenciement
Dans cette affaire, la partie employeur ne s’est pas risquée à convaincre les juges de la licéité de son licenciement « 2.0 ». Ce qui se conçoit parfaitement dans le sens où, juridiquement parlant, une telle « stratégie » eut été pour ainsi dire vouée à l’échec. La décision de licencier étant toujours susceptible d’être lourde de conséquence, le Code du travail a en effet, de longue date, pris le soin de conditionner sa validité au respect de règles de forme et de fond. C’est ainsi que :
- en son article L. 1232-1, il précise que tout licenciement doit être « motivé » et « justifié par une cause réelle et sérieuse » ;
- en son article L. 1232-2, il précise que le salarié dont le licenciement est envisagé doit pouvoir être entendu (et s’il le souhaite assisté) lors d’un entretien préalable au licenciement ;
- en son article L. 1232-6, il précise que toute décision de licenciement doit faire l’objet d’une notification (normalement) par lettre recommandée avec accusé de réception comportant les « l’énoncé du (ou des) motif(s) invoqué(s) par l’employeur ».
Or, à l’évidence, le licenciement ici prononcé s’affranchissait allégrement de l’ensemble de ces garanties. C’est donc par un autre biais que la partie patronale a tenté de faire avaliser par les juges du contrat de travail sa décision de licencier. Et pour ce faire, il a tout bonnement pris l’initiative de tout reprendre à zéro et de lancer une nouvelle procédure de licenciement. Irréprochable celle-là !
Voici, en quelques mots, le stratagème mis en œuvre :
Le 25 mars 2013, soit deux jours seulement après le prononcé du licenciement par voie de SMS, l’employeur convoque le salarié à un entretien préalable au licenciement ... dans les règles de l’art. Le délai de cinq jours devant s’écouler entre la date de présentation de la convocation et la date retenue pour la tenue de l’entretien préalable est ici parfaitement respecté et, conformément à la loi, les possibilités d’assistance du salarié convoqué lui sont parfaitement bien rappelées.
Et le 6 avril 2013, date retenue pour la tenue de l’entretien préalable, le poisson mord à l’hameçon. Accompagné d’un conseiller du salarié, le salarié -pourtant déjà licencié depuis déjà plus de 15 jours- se présente en toute innocence à son entretien préalable … au licenciement (!).
Le piège se referme alors sur le salarié et il ne restera plus à l’employeur qu’à lui adresser une lettre de licenciement en bonne et due forme et en recommandée avec accusé de réception. Ce qui fût fait dès le 12 avril 2013.
Résultat a priori probant pour l’employeur : initialement mal licencié, le salarié se trouve finalement parfaitement bien licencié.
- Un licenciement qui (parfois) peut en cacher un autre
Il n’en reste pas moins qu’à ce stade de l’histoire, un doute subsiste encore. Nous nous retrouvons tout de même avec un salarié deux fois licencié : une première fois de manière irrégulière -via un simple message SMS- et une seconde fois de manière régulière -après entretien préalable et en lettre recommandée avec accusé de réception (et on peut l’imaginer avec à la clef un motif).
Alors, lequel fallait-il retenir ? L’irrégulier ou le régulier ?
L’on peut assez facilement imaginer la préférence de l’employeur mais encore fallait-il que, devant les juges, ce dernier puisse justifier de son choix de manière un tant soit peu objective … afin de ne pas trop donner l’impression de « faire son marché » en retenant celui qui l’arrangeait. Pour ce faire, il a plaidé le fait que la (première) décision de licencier -prononcée le 23 mars 2013- avait été « rétracté » du fait même du déroulement sans coup férir de la procédure préalable au second.
Il faut ici rappeler que, de longue date, il est admis en jurisprudence que l’employeur est parfaitement habilité à « renoncer » au licenciement qu’il a initialement prononcé dès lors que le salarié est d’accord pour qu’il en aille ainsi(6).
- Le (prétendu) consentement du salarié au renoncement de l’employeur à son licenciement
Reste qu’ici, le salarié n’avait pas expressément donné son aval pour qu’il soit renoncé au licenciement qui lui avait été notifié le 23 mars 2013 par voie de SMS …
Mais c’est justement sur ce point précis que le cœur de la stratégie de l’employeur -en forme de piège pour le salarié- fût élaborée : en convoquant le salarié, le gérant du restaurant espérait secrètement qu’il viendrait bien afin de pouvoir par la suite plaider que, ce faisant, il avait « de façon claire et non équivoque » acquiescé à la volonté patronale de renoncer au prononcé du premier licenciement.
Dit autrement, après que l’employeur a convoqué son salarié à entretien préalable, celui-ci ne lui a pas fait savoir que la procédure ainsi mise en œuvre était sans objet. Il y a au contraire souscrit en venant à l’entretien préalable assisté d’un conseiller du salarié. Il avait donc admis qu’il n’était pas encore licencié, ce qui permettait d’alléguer du fait qu’il avait bien accepté le renoncement de l’employeur au licenciement dont il avait initialement fait l’objet …
Une telle argumentation, pour le moins tendancieuse, conduisait clairement à faire au salarié un procès d’intention. Qui plus est, elle instrumentalisait l’entretien préalable au licenciement (qui est normalement là pour protéger le salarié) afin d’en faire une arme par destination contre ce dernier. Et pourtant, elle a bel et bien emporté la conviction des juges du fond.
Notons pour la petite histoire que ce n’est pas la première fois que la partie employeur à un procès patronal tente de retourner la protection de l’entretien préalable contre la partie salariée. Ainsi a-t-il déjà été tenté par un employeur de justifier du prononcé d’un licenciement par le seul fait que le salarié n’avait pas daigné répondre à sa convocation à entretien préalable (!). Ce en quoi la Cour de cassation lui avait rétorqué qu’il ne pouvait pas le faire dans le sens où cette formalité n’a été prévue que « dans le seul intérêt du salarié »(7).
- La (nécessaire) remise en ordre de la Cour de cassation
Fort heureusement, la cour de cassation vient remettre les choses en ordre en cassant l’arrêt qui avait été rendu le 1er décembre 2016 par la Cour d’appel de Pau, ce au visa des trois articles du Code du travail que nous détaillés plus haut dans ce commentaire : l’article L. 1232-1, l’article L. 1232-2 et l’article L. 1232-6. Pour elle, en effet, la « volonté claire et non équivoque » du salarié d’accepter la rétractation du 1er licenciement n’était à l’évidence pas suffisamment établie.
Et à bien y réfléchir, le fait que ce 1er licenciement ait été prononcé par message SMS ne doit finalement être vu que comme un simple détail de cette affaire. A notre sens, la solution eut en effet été exactement la même s’il avait été prononcé, dans des conditions identiques, par le biais d’un autre support.
(1) Cass. soc. 23.06.98, n° 96-41.688.
(2) Art. L. 1232-3 C. trav.
(3) Cass. soc. 16.12.09, n° 08-42.922.
(4) Cass. soc. 16.12.09, n° 08-40.722.
(5) Art. L. 1234-1 C. trav.
(6) Cass.soc., 17.01.90, n° 87-40.666.
(7) Cass.soc.,15.01.91, n° 89-42.270.
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