Les associations de défense au sans-papier manifestent devant le CRA du Canet
Marsactu/Esther Griffe
Marsactu/Esther Griffe
Treize jours après sa greffe du foie. Fatima Asfour est toujours à l'hôpital, avec un corps médical qui s'inquiète pour l'etat de ses reins . Elle avait été hospitalisée en urgence le 31 juillet après avoir ingurgité des médicaments. Une hospitalisation intervenue alors que cette ressortissante marocaine était placée en isolement médical au centre de rétention administrative (CRA) du Canet à Marseille, victime d'une crise de panique face à son expulsion imminente du territoire français. Une affaire jugée assez préoccupante pour que le contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL), qui a pour mission de s'assurer du respect des droits fondamentaux des personnes retenues, se saisisse de l'affaire (à la demande de l'association Forum réfugiés qui intervient au CRA pour porter une assistance juridique aux retenus).
Aude Muscatelli, secrétaire générale du CGLPL le confirme : "On a saisi les autorités compétentes, le médecin-chef et le directeur du centre de rétention administratif du Canet pour comprendre ce qui s'est passé. On attend surtout les résultats de l'enquête menée par l'Inspection générale de la police nationale".
Un cas qui vient se rajouter à celui d'un autre retenu rapporté par un collectif d'associations, de syndicats et de partis de gauche. Celui-ci s'était cassé le pied alors qu'on tentait de l'embarquer vers l'aéroport où il serait expulsé. Personne ne le soignant, les retenus auraient appelé les pompiers mais la police n'aurait pas autorisé les pompiers à entrer dans l'enceinte pour lui porter assistance.
Contre les expulsions
Face à cette situation qui a suscité l'émotion, ces mêmes organisations avaient organisé un rassemblement devant le CRA du Canet pour dénoncer des violences policières, réclamer l'arrêt des expulsions et la régularisation de tous les sans-papiers.
Des militants avaient pris contact avec un retenu placé au CRA. Il a témoigné par téléphone de ces conditions de vie en réponse aux questions des associatifs. (Attention, tendez l'oreille).
"Ils nous frappent dans les chambres parce qu'il n'y a pas de caméras". Ce passage du témoignage pose l'épineuse question des violences policières commises à l’intérieur du centre et de leur éventuelles généralisations (comme le laisse entendre certains militants). Pour Bruno Bochnakian, avocat en droit des étrangers et droit de l'immigration au barreau de Toulon : "Les violences policières ne sont pas propres aux centres de rétention et ne touchent pas plus particulièrement les étrangers que d'autres catégories de la population."
L' isolement médical, une pratique locale
Au-delà des violences avérées ou supposées, ce qui arrive à Mme Asfour jette une lumière crue sur les conditions de rétention des étrangers en situation irrégulière à Marseille. Aude Muscatelli reste prudente : " Il faut être attentif à ne pas tout mélanger, le cas de Mme Asfour n'est pas représentatif de ce qui se passe dans les centres de rétention français". Cette affaire témoigne-t-elle d'un problème propre au CRA de Marseille où ont transité 1587 personnes en 2011 et 2355 en 2010 ? La réponse fuse, immédiate : "Nous ne menons pas d'enquête comparative."
Il existe pourtant bien des particularités locales. Le Canet est le seul lieu où se pratique l'isolement pour raisons "médicales". L'administration du CRA justifiait cette pratique auprès du CGLPL Jean-Marie Delarue par la présence de caméras dans les locaux d'isolement afin de garantir "la prévention contre les atteintes à soi-même et les incidents" en l'absence de gardien. Or, il ressort du rapport de visite au CRA du Canet du CGLP que sur 136 mises à l'isolement comptabilisées en 2009, 31 font suite à des insultes à agent, 20 à des bagarres, alors que l'isolement sanction est strictement illégal.
La pratique semble même avoir pris un caractère systématique. En 2010, une cinquantaine de mises à l'isolement ont encore été constatées concernant des troubles psychologiques, auto-mutilations ou tentatives de suicide d'après le rapport réalisé par les associations habilitées à intervenir dans les centres.
"Les personnes, dénonce en outre ce rapport, qui présentent des troubles psychologiques ou qui reviennent d’une consultation spécialisée sont pratiquement systématiquement placées en chambre d’isolement, parfois pendant de nombreuses heures". Et le personnel soignant qui refuse d'intervenir dans les chambres d'isolement pour montrer son opposition à ce type de pratique "aggrave" la situation de ces personnes.
Pas de budget pour le suivi psychologique
La prise en compte de la détresse psychologique des retenus est la grande absente. Motif : un budget restreint. En témoigne en 2010 la réponse du ministère de l’Intérieur de l'époque (tenu par Claude Guéant) au rapport de visite de Jean-Marie Delarue : "D'une manière générale un ou des médecins sont présents au quotidien dans les CRA.(...)Cette équipe ne comprend pas de psychologue il est vrai.(...)En 2010 le coût global du dispositif sanitaire s'élève à 5 187 002 euros. (...)Il est donc inenvisageable de prévoir de nouvelles conventions entre l'Etat et les services hospitaliers qui prendraient en compte le coût de l'affectation de personnel supplémentaire, en l'espèce d'un psychologue ." Une réponse légère quand le CGLPL estime que la mise à l'isolement et les carences du suivi médical "peuvent être à l'origine de tentatives de suicides".
Au-delà du suivi psychologique, la règle élémentaire du secret médical n'est pas non plus garantie au CRA du Canet. Chaque retenu qui souhaite voir un des cinq médecins en alternance ou une des cinq infirmières du centre doit obligatoirement justifier sa demande auprès d'un policier comme pour tout déplacement à l'intérieur de l'enceinte (une autre spécialité locale).
Sur ces sujets, il nous a pour le moment été impossible de recueillir les avis de la direction du CRA du Canet (le commandant Elisabeth Leclerc) et de Reem Mansour (médecin présent au CRA) sont restées sans réponses sans que l'on arrive à savoir si ces silences sont volontaires ou dus à des absences estivales.
Renforcer les alternatives
Pas de réponse non plus du côté de la place Beauvau. Au vu de ces dernières sorties, Manuel Valls, le ministre de l'intèrieur n'entend pas revenir sur l'utilité des CRA et les mises à l'isolement médical sont toujours appliquées à Marseille comme nous le rappelle la situation de Fatima Asfour. Néanmoins, la circulaire du 6 juillet 2012 du ministre de l'Intérieur pourrait renforcer les assignations à domicile comme alternative au placement en rétention. Ceci pourrait accentuer la baisse observée des taux d'occupation dans les centres de rétention depuis l'interdiction des gardes à vue par la cour de cassation début juillet (45% en moyenne contre 60-70% auparavant). Maître Bruno Bochnokiian préfère rester prudent sur les effets de la circulaire : "Elle n'a pas force de loi et son application est laissée à la discrétion du préfet. Il y a de grandes chances que rien ne change."
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