La Croix publie sous ce titre un entretien avec Marcel Grignard, secrétaire général adjoint dans son édition datée du 16 avril.
L'Europe sociale existe-elle réellement ?Oui, évidemment. Beaucoup d’éléments dans notre droit social national découlent de directives européennes, qui ont été transposées chez nous. Les salariés de l’Union européenne ont donc des droits très voisins sur ces questions. Les sécurités que l’on trouve sur les machines pour protéger les salariés comme le renforcement de l’égalité entre hommes et femmes en sont le résultat. Par ailleurs, des centaines de milliers de salariés en Europe sont aujourd’hui représentés au sein de comités d’entreprise européens. C’est le seul exemple au monde d’instances de représentation collective d’entreprises implantées sur différents territoires nationaux
Le respect de ces droits est-il effectif partout en Europe ?
Le fait que les directives soient transposées en droit national oblige les parlements nationaux à mettre en œuvre une directive commune en tenant compte des particularismes locaux et de la culture nationale. Par ailleurs, une partie des droits des salariés résulte d’accords collectifs conclus entre Business Europe (patronat européen) et la Confédération européenne des syndicats (CES). Le dernier en date concerne le harcèlement et la violence au travail. La première garantie de l’effectivité des droits tient donc au fait que les parlements et les partenaires sociaux sont impliqués dans leur mise en œuvre. Après, celle-ci varie beaucoup en fonction des caractéristiques, des cultures et habitudes nationales des 27 pays de l’Union. Dans les nouveaux entrants, l’acquisition de la plupart des droits communautaires a dû se faire très vite. Alors que les corps constitués (patronat, syndicats…) n’avaient pas les mêmes moyens ni la même ancienneté que dans le reste de l’Europe
L'Europe sociale paraît pourtant toujours être le parent pauvre de l'UE...
Encore une fois, il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas d’Europe sociale. Mais il apparaît clairement aux yeux des salariés que, si ce socle de droits est important, persistent pour autant des éléments de concurrence entre les salariés européens (salaires, conditions et temps de travail…), qui s’ajoutent aux contraintes faites aux entreprises (différences fiscales). Cela amène à une forme de concurrence sociale, qui vient effacer ce qui a été acquis en droits sociaux. En d’autres termes, la concurrence sociale, mais aussi fiscale, annule en quelque sorte les acquis sociaux de l’Europe. Et cet effet n’est pas réglé aujourd’hui par les modalités de construction de l’Europe sociale
Que faudrait-il faire ?
Il faudrait déjà avancer sur le point important de la fiscalité des entreprises, en particulier sur les bénéfices. La concurrence fiscale à laquelle se livrent les États amène en effet les entreprises à bouger en Europe et à déplacer les emplois en fonction de leurs intérêts. Par ailleurs, il faudrait arriver à établir partout en Europe une forme de revenu minimum, qui ne serait pas un smic européen. Tous les États devraient avoir un revenu minimum, négocié ou voulu par la loi, qui pourrait être calculé par rapport au PIB ou au salaire moyen de chaque pays. Enfin, il faudrait harmoniser l’action des pays européens concernant les mutations de l’emploi : comment accompagne-t-on les salariés qui perdent leur emploi ? Comment former les salariés pour les rendre plus compétitifs
Comment faire en sorte que la Confédération européenne des syndicats exerce une action plus forte ?
Il faudrait déjà que les syndicats qui sont dans la CES (lire ci-dessous) acceptent de transférer au niveau européen une partie de leurs moyens et de leurs pouvoirs pour peser davantage tous ensemble. D’une certaine manière, le syndicalisme européen a le même problème que l’UE avec les États : ses membres préfèrent agir pour leur propre compte, oubliant trop souvent qu’ils seraient plus forts et plus efficaces s’ils agissaient en commun avec les autres pays.
Que proposeriez-vous concrètement ?
En plus de donner des moyens humains et financiers à la CES, il faudrait lui confier des mandats de négociations. On pourrait aussi faire en sorte que, quand la CES intervient au niveau de l’Union européenne, les syndicats nationaux fassent de même auprès de leurs gouvernements et parlements, pour ainsi agir de concert. Il faudrait aussi que le patronat européen ait la volonté de créer de nouveaux droits. Les réunions régulières, qui ont lieu entre Business Europe et la CES, devraient permettre de décider des sujets sur lesquels il faut avancer ensemble et donc s’auto-saisir. Avec le protocole de Maastricht, la Commission peut demander, lorsqu’elle veut légiférer dans un domaine social, aux partenaires sociaux de se saisir de la question. Et s’ils n’agissent pas, elle décidera seule. C’est une façon de faire pression sur les partenaires sociaux européens
Le traité de Lisbonne a-t-il changé quelque chose ?
Même si ce nouveau traité est imparfait, il améliore malgré tout le fonctionnement de l’Union européenne. Il rend aussi opposable un certain nombre de droits nouveaux pour les citoyens. Tout cela devrait favoriser l’évolution vers une Europe que nous désirons. Mais il faut attendre encore quelques mois pour voir si cela produit des effets.
Le Parlement, auquel davantage de pouvoirs ont été conférés, est-il devenu un allié ? La CES s’appuie-t-elle sur ces élus ?
Des échanges réguliers ont lieu entre la CES et des groupes parlementaires européens. Nous avons réussi ensemble certaines actions. L’une, antérieure au traité de Lisbonne, porte sur la révision de la directive sur la durée du travail. Celle-ci prévoyait notamment l’« opt out », portant de 48 à 65 heures la durée de travail hebdomadaire maximale. C’est le travail mené en commun avec le Parlement européen qui a abouti à ce que ce projet soit abandonné à l’époque. L’action du syndicalisme européen vis-à-vis des députés a aussi amené aux changements fondamentaux de la directive « services », qui est devenue acceptable en termes de droits sociaux.
Propos recueillis pat Aude Carasco
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