mercredi 8 février 2017

S’agissant du cas où un maire souhaiterait recruter un parent, la voie contractuelle et celle du recrutement direct sans concours sont indissociables d’un risque pénal résultant de l’intérêt moral qu’aurait ce maire à recruter un membre de sa famille. Pour le ministère de l’Intérieur, dans ces cas, il faut combiner les règles du statut de la FPT, avec l’article 432-12 du code pénal et l’article L. 2131-11 du CGCT, « lesquelles tendent à écarter ce type de recrutement ».

Un maire a-t-il le droit de recruter sa femme ou ses enfants ?

Publié le 07/02/2017 • Par Marie-Pierre Bourgeois • dans : Actu juridique, France
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Au moins 15% des parlementaires ont un collaborateur familial d'après une enquête de Médiapart dans le cadre du "Fillongate". Mais qu’en est-il des élus locaux ? Profitent-ils de leur statut pour embaucher de façon discrétionnaire leurs familles en cabinet ou dans leur administration ? Éléments de réponse, et rappel du cadre légal. Est-il légal d’embaucher un membre de sa famille comme collaborateur si l’on est élu local ? La question a pris toute son acuité à la suite des soupçons d’emploi fictif de la femme de François Filllon comme collaboratrice parlementaire de son mari. Mais dans quelle mesure les collectivités sont-elles concernées ?

Aucune interdiction d’embaucher un collaborateur familial dans son cabinet

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’existe aujourd’hui aucun cadre juridique qui régisse explicitement et directement le statut de membre de cabinet d’une collectivité, que ce soit pour fixer ses conditions de rémunération, de diplôme et encore moins pour interdire un quelconque lien de parenté. Même les récents textes sur la transparence de la vie publique ne s’intéressent pas au sujet, mais seulement au patrimoine et aux intérêts des élus ou hauts fonctionnaires.
Une seule limite a été établie par le législateur. Depuis 1987, le nombre de collaborateurs d’élus est déterminé par le nombre d’habitants (1). Une règle toute relative puisque « les contrôles sont inexistants », explique Jean-Christophe Picard, attaché principal territorial et président d’Anticor, une association qui lutte contre la corruption politique.
Et d’ajouter : « même avec la meilleure volonté du monde, il reste très compliqué de démontrer qu’un recrutement s’est fait sur des motifs biaisés, comme l’amitié, un « renvoi d’ascenseur » ou un lien de parenté. Il est aussi très difficile de montrer l’effectivité d’un emploi de collaborateur puisqu’il n’existe pas de définition précise.»

Des recrutements familiaux aussi dans l’administration

Cependant, si aucun texte ne vient interdire explicitement l’embauche par les élus locaux de leurs conjoints ou de leurs enfants au sein de leur cabinet, le ministère de l’Intérieur met pourtant en garde les municipalités en 2010, au titre de la prise illégale d’intérêt (Art. 432-12 du Code pénal).  C’est une question de François Grosdidier (LR, actuellement sénateur de la Moselle) qui lui permet de clarifier les modalités du recrutement familial dans l’administration :
S’agissant du cas où un maire souhaiterait recruter un parent, la voie contractuelle et celle du recrutement direct sans concours sont indissociables d’un risque pénal résultant de l’intérêt moral qu’aurait ce maire à recruter un membre de sa famille.
Pour le ministère de l’Intérieur, dans ces cas, il faut combiner les règles du statut de la FPT, avec l’article 432-12 du code pénal et l’article L. 2131-11 du CGCT, « lesquelles tendent à écarter ce type de recrutement ». Les règles « tendent », et n’interdisent pas absolument, et il ne s’agit « que » d’une réponse ministérielle, mais le conseil est assez clair.
Les condamnations sont toutefois rarissimes puisque, de tous les élus locaux, seul Michel Laignel (PS), le maire de Ronchin (Nord) de 1983 à 2006, a été condamné à 2 ans d’emprisonnement avec sursis en 2006 pour prise illégale d’intérêt, suite à l’embauche de ses enfants. En cause, leur recrutement en tant qu’agents municipaux, alors qu’ils n’étaient pas lauréats des concours de la fonction publique territoriale.

Une pratique courante qui n’exonère pas les élus du respect de la loi

Dans cette affaire, la cour de Cassation avait posé que : le « délit est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » (Cass. Crim. 8 mars 2006, n° 05-85276). C’est ainsi que le juge pénal sanctionne l’élu qui a recruté ses deux enfants comme agents non titulaires de la collectivité. En privilégiant les intéressés au mépris des prescriptions légales, il a pris un intérêt moral dans l’attribution de ces deux postes, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations et en assurait le paiement ».
Si les condamnations sont rares, les faits, eux, semblent beaucoup plus courants, puisque le maire condamné avait même prétexté de leur fréquence dans les collectivités pour sa défense. Ce à quoi le juge lui a répondu : « si le prévenu fait état d’une pratique courante dans les collectivités territoriales, cette tolérance ne saurait annihiler une règle législative qu’un élu se doit de respecter ».

L’auto-régulation, un outil qui ne fonctionne pas

Un rappel d’autant plus utile que dans la charte de l’élu local, prévue par la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 (dite Gourault-Sueur), ce sont surtout les grands principes déontologiques de l’exercice du mandat qui sont mis en avant.
Cette charte s’abstient d’ailleurs d’aborder explicitement la question de l’embauche de membres familiaux dans l’administration ou en cabinet. Elle rappelle surtout que « l’élu local exerce ces fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité. »
Sous ses allures de texte-cadre, la charte de l’élu local n’est donc en rien engageante.
Certains territoires ont pourtant décidé de frapper fort, s’inscrivant dans la mouvance de plusieurs listes lors des élections municipales, départementales et régionales, entre 2014 et 2015, qui ont décidé de faire de la probité des élus un axe de campagne.

Des pratiques difficiles à réguler

Valérie Pécresse (LR), la présidente de la région Ile-de-France a ainsi rappelé, en pleine affaire Pénélope Fillon, « avoir mis fin, depuis son arrivée dans la collectivité, à la possibilité de recruter des personnes de la famille des élus, sauf si le conseil régional se prononce en sa faveur. » Une avancée toutefois tempérée par le fait qu’un tel système permet aussi d’embaucher un proche dès lors qu’il est le plus compétent.
Autre territoire qui essaie de changer les pratiques, la ville de Strasbourg qui a publié en septembre 2014 une charte de déontologie. Elle précise que « de manière générale et pendant toute la durée de leur mandat, les élus du conseil municipal de Strasbourg s’interdisent d’agir ou de tenter d’agir de façon à favoriser leurs intérêts personnels ou ceux de toute autre personne. »

Le déontologue de Strasbourg au chômage technique

Là encore, difficile de passer le stade de la déclaration de bonnes intentions. D’après Patrick Wachsmann, le déontologue bénévole de la collectivité, seuls 4 élus sont venus s’assurer que leur situation professionnelle ne posait pas de problème juridique, tout particulièrement en terme de conflit d’intérêt.
Dommage, alors même que son rôle de conseil était l’une de ses principales fonctions. Quasiment au chômage technique, le professeur de droit public a même un temps suspendu sa permanence hebdomadaire.

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