mardi 24 février 2015

Journal Libération à Laurent BERGER :"à qui attribuez-vous l'échec de la négociation sur la rénovation du dialogue social?"."les choses se sont beaucoup tendues depuis la crise. Les lignes de fracture qui ont émergé dans la société se retrouvent dans le monde économique. Et aujourd'hui, une partie du patronat est tiraillée par un très fort populisme, de même qu'une partie du syndicalisme."

"Une partie du patronat est tiraillée par un très fort populisme, de même qu'une partie du syndicalisme" - Interview au journal Libération

Cette interview est parue dans le journal Libération du 20 février 2015. 
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A qui attribuez-vous l'échec de la négociation sur la rénovation du dialogue social?
A tous ceux qui considèrent que le dialogue social n'est pas un élément de performance, un moteur pour l'entreprise, mais seulement une épine dans le pied des employeurs. Concrètement, à la CGPME et à une partie du Medef. A cette partie la plus dure du patronat qui pense que sa raison d'être doit se limiter à un rôle de lobbying auprès des pouvoirs publics, et qu'elle ne doit surtout pas s'engager. Mais aussi, d'un autre côté, à certaines organisations syndicales, qui n'ont pas envie que les choses bougent.

Cet échec est insurmontable?
Si on parvient à une loi ambitieuse sur le sujet, non. Avec un texte qui doit instaurer la représentation des salariés des TPE, valoriser les parcours syndicaux, et donner à l'accord collectif la possibilité d'organiser le dialogue social dans l'entreprise. Mais aussi rationnaliser la procédure d'information-consultation et renforcer la représentation des salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises.

Quel bilan dressez-vous des accords de branche négociés dans le cadre du pacte de responsabilité?
Il y a encore des négociations en cours, il faudra faire un bilan plus fin lors du prochain débat budgétaire. Il y a plusieurs secteurs où des choses intéressantes ont été négociées, notamment sur l'investissement et l'apprentissage. Mais pour l'instant, c'est laborieux, et je dirais que le verre est à moitié vide. Et même s'il est clair que ce n'est pas avec ce type d'accords que peuvent être décidé des dizaines de milliers de créations d'emplois, le bilan est insuffisant. Or si, à terme, certains secteurs ne se sont pas suffisamment engagés, il faudra que les parlementaires prennent leurs responsabilités, et réexamine l'opportunité de poursuivre les baisses de cotisations prévues dans le cadre du pacte de responsabilité.

Le patronat se sent tout puissant?
J'ai l'impression qu'il est de plus en plus difficile, dans ce pays, de faire avancer la logique de dialogue social et de compromis. Ce qui domine, pour une partie du patronat, c'est l'idée de la confrontation. Ou, au mieux, une logique de statu quo, où tant que je gagne, je ne m'engage pas.

A quoi est due cette situation?
Les choses se sont beaucoup tendues depuis la crise. Les lignes de fracture qui ont émergé dans la société se retrouvent dans le monde économique. Et aujourd'hui, une partie du patronat est tiraillée par un très fort populisme, de même qu'une partie du syndicalisme.

Les syndicats ne sont-ils pas aussi désunis face au patronat?
La vraie question n'est pas celle de l'union, mais à quoi sert le syndicalisme dans la période actuelle, où la société vit de profondes mutations. Pour ma part, je ne recherche ni l'unité ni la désunion, mais l'efficacité pour les salariés. Ils ont besoin qu'on leur apporte des solutions concrètes sur l'emploi et leur travail, et non pas le statu quo. Car le statu quo est mortifère pour les salariés comme pour le syndicalisme.

Le rapport de force syndical est néanmoins très faible. Notamment avec une CGT qui a disparu des écrans radars depuis plusieurs années...
Dans les entreprises, le rapport de forces et le dialogue social produit des résultats concrets. Au niveau national, il est vrai, en revanche, qu'il y a des organisations syndicales qui souffrent un peu en terme de ligne...

Le dialogue social nécessite d'être rénové?
On peut revoir la façon de procéder sur la forme, comme sur les horaires ou sur le lieu. Mais la vraie question, c'est celle du comportement des acteurs, de leur maturité. C'est celle du choix entre dialogue social et affrontement. Et ce, qu'il s'agisse du camp syndical ou patronal. Car la tentation est forte de vouloir durcir les choses et dire ensuite que c'est la faute des autres. Or dans le climat actuel, le dialogue social n'est pas qu'une méthode. C'est une vraie possibilité de changer les réalités, une façon de confronter les intérêts divergents pour faire émerger des solutions. C'est la seule manière d'éviter les affrontements stériles. A défaut, on privilégie la confrontation, avec l'idée qu'il faut forcément un gagnant et un perdant. Une situation dont se délecte l'extrême droite...

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