lundi 6 juin 2016

Incontestablement, la RTT a eu des effets positifs sur l’emploi : la commission d’enquête parlementaire de 2014 a estimé à 350 000 le nombre d’emplois créés par les lois Aubry (1998-2000). Un chiffre qui aurait pu être plus important si, comme le revendiquait la CFDT, cette réduction s’était faite par la négociation et non par la voie législative. Mais leur mise en œuvre a eu lieu quand la situation économique le permettait, avec des mesures d’accompagnement conséquentes.


publié le 03/06/2016 à 16H33 par Anne-Sophie Balle
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Relance de la croissance, création d’emplois, gain de productivité… Pour des raisons très diverses, le débat sur la semaine de 32 heures refait régulièrement surface dans la sphère politique et sociale. La CFDT, à l’origine de la réflexion sur la réduction du temps de travail dans les années 90, privilégie une autre approche. Entretien avec Hervé Garnier, secrétaire national en charge du dossier.
      35Heures      
      La CFDT, qui fut à l’origine des 35 heures,
réfléchit désormais à l’évolution 
de
l’aménagement du temps de travail
sur l’ensemble de la carrière.
     
Alternatives économiques a publié le mois dernier un manifeste pour une nouvelle réduction du temps de travail, signé par 150 personnalités. Pourquoi la CFDT n’est-elle pas signataire ?
Au-delà du fait qu’il n’est pas dans l’habitude de la CFDT de signer des tribunes sans pouvoir peser sur leur contenu, cet appel ne nous semble pas être l’approche la plus pertinente sur la réduction du temps de travail (RTT). Ce sujet, qui reste cher à la CFDT, se réinvite régulièrement dans l’actualité, y compris par des gens qui ne l’ont pas défendu à l’époque où nous l’avons porté, seuls. Mais aujourd’hui, le débat autour de la durée hebdomadaire de travail s’apparente davantage à un jeu de postures médiatiques autour d’un simple chiffre – les 32 heures –, et s’exonère totalement des questions liées à la rémunération, à la charge et aux conditions de travail, et plus globalement à l’évolution du travail. 
Ces questions se sont également posées lors de la mise en place des 35 heures. Quelles différences aujourd’hui ?
J’en vois au moins deux. La première, c’est le contexte. Incontestablement, la RTT a eu des effets positifs sur l’emploi : la commission d’enquête parlementaire de 2014 a estimé à 350 000 le nombre d’emplois créés par les lois Aubry (1998-2000). Un chiffre qui aurait pu être plus important si, comme le revendiquait la CFDT, cette réduction s’était faite par la négociation et non par la voie législative. Mais leur mise en œuvre a eu lieu quand la situation économique le permettait, avec des mesures d’accompagnement conséquentes. Je ne suis pas certain que l’on serait aujourd’hui en mesure d’accompagner une nouvelle réduction du temps de travail dans les mêmes conditions. Pour être créatrice d’emplois, la réduction du temps de travail doit faire l’objet d’un consensus social, trouver le juste équilibre entre le partage du travail, la rémunération et les conditions de travail. Lors du passage aux 35 heures, la CFDT a longuement insisté sur la question de l’aménagement du travail. Ce lien entre réduction et aménagement du temps de travail, qui s’est traduit par un gain de productivité, n’a malheureusement pas toujours produit les effets de comportement escomptés. Et on a vu certaines entreprises réduire la durée du temps de travail et réorganiser le travail sans créer d’emplois, au détriment de la santé et des conditions de travail des salariés.
L’autre différence tient à l’évolution même du travail. La durée du temps de travail, c’est un peu la clé de voûte du code du travail, une référence qui permet d’encadrer l’organisation du travail, les horaires collectifs, le salaire et bien d’autres choses encore. On constate de plus en plus que cette référence est mise à mal, par le développement du numérique, par la porosité entre vie familiale et vie professionnelle… Dans les entreprises, la durée du temps de travail pose de réelles questions
qui n’ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes : le télétravail, le droit à la déconnexion… Il serait illusoire de parler d’une nouvelle réduction du temps de travail sans prendre en compte le contenu même du travail et sans nous assurer qu’elle aille de pair avec une amélioration de la qualité du travail. C’est pour cela que nous pensons qu’il faut réfléchir à une nouvelle approche.
Quelles seraient les conditions de cette nouvelle approche ?
Il faut avancer sur la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. L’attente est forte chez les salariés, mais le sujet reste trop peu pris en compte. Prenons la question des aidants, de plus en plus prégnante dans notre société. Les salariés, qui constituent aujourd’hui le marché du travail, sont la première génération à devoir accompagner des parents en fin de vie, et parfois à avoir des enfants à charge ou des petits-enfants à s’occuper. L’étude que nous venons de mener avec l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) montre que, pour « gérer » ces situations, les salariés utilisent soit leur jour de RTT et les horaires variables (or tous les salariés n’y ont pas accès), soit les arrêts maladie, ce qui, disons-le, n’est pas leur finalité première. Il faut y remédier : un premier pas a été franchi en 2013 avec l’accord sur la qualité de vie au travail conclu entre les partenaires sociaux et, plus récemment, avec la loi autorisant le don de jours de RTT pour s’occuper d’un parent ou enfant malade. Mais nous devons aller plus loin. C’est ce que nous avons porté avec la proposition d’une généralisation du compte épargne-temps (CET), qui permettrait à tous les salariés et agents de verser des jours de RTT ou de congés, et de les utiliser selon leurs besoins ou leurs envies, au fil de leur parcours professionnel.
Qu’en est-il des salariés usés par le travail ?
On l’a dit, si les années 2000 ont plutôt eu tendance à lier réduction du temps de travail et organisation du travail, il semble aujourd’hui plus judicieux de réfléchir au lien entre réduction et qualité, surtout pour les salariés soumis à des conditions de travail pénibles. Or, aujourd’hui, on fait face à la logique inverse : on demande aux gens de bosser plus longtemps alors que, physiquement, certains ne tiennent pas le coup. Il va bien falloir sortir de cette logique, et penser des mesures qui répondent aux besoins et au parcours professionnel de chacun. Prenons le temps partiel : dans plusieurs pays d’Europe, cette question n’est pas vécue comme une contrainte ou une simple roue de secours. Le premier exemple où l’on a amené positivement cette question, c’est le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), que les salariés soumis à des conditions de travail pénibles peuvent utiliser pour se former, passer à temps partiel ou, pour les plus âgés, partir plus tôt à la retraite.
Ces éléments (CET, C3P) constituent le cœur du compte personnel d’activité, inscrit dans le projet de loi Travail. Le CPA est-il une nouvelle manière de penser la réduction du temps de travail ?
Pourquoi cela serait-il extravaguant de penser la réduction du temps de travail sur toute la durée de la carrière ? Arrêtons de penser la durée du travail sur une base hebdomadaire ! Dans un contexte de profondes mutations économiques, le CPA est un début de réponse pour penser la durée du temps de travail tout au long de sa vie professionnelle. Nous faisons le pari qu’il puisse devenir un outil qui permette à chacun (salariés du privé et du public, demandeurs d’emplois, professionnels autonomes…) d’anticiper les transformations des emplois et des métiers, mais aussi d’articuler au mieux parcours professionnel et projets de vie.
N’y a-t-il pas un risque pour les entreprises, qui ne pourront plus anticiper les besoins aussi facilement, ne sachant quand leurs salariés utiliseront leur CPA ?
C’est en tout cas l’argument qu’utilise le patronat pour freiner la mise en œuvre du dispositif. Rappelons-le : le CPA n’est pas un outil « open bar ». Ses conditions d’accessibilité et d’utilisation sont à négocier entre partenaires sociaux pour placer le curseur au bon endroit, entre la liberté de chacun dans l’usage de ses droits et l’intérêt général. Aujourd’hui, le résultat correspond à l’évolution de notre modèle de société, où le besoin de flexibilité ne peut s’entendre sans la mise en place
de nouvelles garanties collectives. Réduire le temps de travail peut être un atout pour l’avenir, à condition d’éviter le piège des approches simplistes ou caricaturales. 
Propos recueillis par aballe@cfdt.fr

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