dimanche 12 juin 2016

En première ligne face au terrorisme, les forces de l’ordre sont toujours autant sollicitées, mais la fatigue s’installe. Il est temps de préparer collectivement l’après-état d’urgence. « La force d’une organisation comme la CFDT est d’être capable de confronter des réalités très diverses, de proposer des solutions opérationnelles au service de l’intérêt général et d’alerter quand la fatigue des personnels monte, comme pour les forces de l’ordre actuellement », résume Jocelyne Cabanal. D’ailleurs, « la CFDT est le seul syndicat français à réfléchir et à s’investir sur cette thématique* », souligne Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS. La CFDT organise le 28 juin un colloque sur le thème de la sécurité réunissant des salariés des différents métiers concernés par la sécurité.

Etat d'urgence, Euro 2016 : La sécurité, un défi citoyen

PUBLIÉ LE 10/06/2016 À 11H40par Nicolas Ballot
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En première ligne face au terrorisme, les forces de l’ordre sont toujours autant sollicitées, mais la fatigue s’installe. Il est temps de préparer collectivement l’après-état d’urgence.
(Re)fonder un pacte avec les forces de l’ordre
Certains ont « embrassé un flic », d’autres en arrivent à des slogans et des violences contre les forces de l’ordre. Si la question de la sécurité a envahi notre quotidien ces derniers mois, il est important de sortir d’un débat caricatural pour construire les modalités d’un vivre-ensemble, en sécurité.
Les questions de sécurité ont souvent été associées aux problématiques de délinquance et de violence urbaine. Depuis la tuerie de Charlie Hebdo, en janvier 2015, et encore plus depuis les attentats de novembre dernier, le passage en Vigipirate renforcé et l’instauration de l’état d’urgence, la sécurité s’affirme comme une préoccupation majeure, face à un risque de violence meurtrière. Les manifestations à répétition contre le projet de loi Travail, et leur cortège de dégradations et de violences dues à une infime mais très active minorité de casseurs, ainsi que l’approche de l’Euro de football, qui drainera des foules de supporters, ne font qu’exacerber les tensions autour de cette thématique sécuritaire. Sur un sujet aussi sensible qui touche au vivre-ensemble et donc au fondement de notre société, « il nous faut prendre en compte les exigences de sécurité qu’impose le contexte international, dans le respect de la démocratie et des libertés, et nous préparer collectivement à relever les défis de l’après-état d’urgence, tant pour les professionnels que pour l’ensemble de notre société », explique Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT chargée des questions de sécurité.
« Proposer des solutions opérationnelles »
En tant que confédération, la CFDT regroupe les différentes catégories de salariés travaillant pour la sécurité des citoyens, et cela quel que soit leur statut : policiers nationaux, municipaux, fonctionnaires des douanes ou de la justice, salariés des sociétés privées de prévention et sécurité, etc. Une responsabilité qui lui impose d’avoir une vision globale des problématiques de sécurité, sans tomber dans le corporatisme. « La force d’une organisation comme la CFDT est d’être capable de confronter des réalités très diverses, de proposer des solutions opérationnelles au service de l’intérêt général et d’alerter quand la fatigue des personnels monte, comme pour les forces de l’ordre actuellement », résume Jocelyne Cabanal. D’ailleurs, « la CFDT est le seul syndicat français à réfléchir et à s’investir sur cette thématique* », souligne Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS (lire ci-contre).
La sécurité en chiffres
 
145 187 fonctionnaires de police
20 996 policiers municipaux
98 155 gendarmes
La sécurité, notre bien commun
« Nous pouvons collectivement œuvrer à l’émergence d’une société résiliente qui, en plus d’avoir résisté au choc qu’ont constitué les attaques terroristes, en sortira plus soudée. L’objectif est de nous permettre de vivre ensemble et de faire face aux risques avec lucidité, insiste Jocelyne Cabanal. La sécurité se construit sur la notion de bien commun, dont tous les citoyens doivent se sentir garants » en acceptant parfois individuellement une part de contraintes. « Il est indispensable de travailler sur la prévention et l’anticipation, dans nos lieux de vie mais aussi dans nos entreprises. » Police de proximité, éducateurs, travailleurs sociaux ou même services pénitenciers ont une importance cruciale, parfois méconnue.
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Lutter contre les inégalités territoriales
Ainsi, pour prendre l’exemple de la polémique récurrente autour du port d’arme des policiers municipaux, la CFDT, par la voix de sa fédération Interco, préfère le pragmatisme aux positions corporatistes : la question n’est pas tant de savoir si les policiers municipaux doivent être armés et entraînés au maniement des armes en tant que tel que de déterminer si leurs missions le requièrent – il en va de même pour les agents de prévention et de sécurité. « Il faut se baser sur le triptyque mission, équipement, formation », résume Jocelyne Cabanal. En effet, on constate que l’absence de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) conduit à des glissements de missions : les polices municipales sont de plus en plus appelées à réaliser des interventions autrefois réservées à la police nationale ou à la gendarmerie. Les conditions de travail se dégradent, malgré des renforts d’effectif et la sollicitation de militaires. Les agents de sécurité et de prévention (les vigiles) voient aussi s’élargir le champ de leurs interventions. De nouveaux acteurs apparaissent, posant parfois des questions déontologiques. En débattre, penser les coopérations et la gestion des effectifs sur le moyen et le long termes devient alors déterminant pour permettre à tous ces professionnels d’exercer leur activité efficacement. Au-delà du débat sur la police municipale, trop souvent instrumentalisé par certains maires, se pose le problème de l’inégalité des territoires face à la sécurité. L’État, via la police nationale ou la gendarmerie, ne donne plus le sentiment d’être capable d’assurer la sécurité des biens et des personnes sur certains territoires, du fait notamment de baisses d’effectifs et de crédits. Pour éviter que ne se mette en place une « sécurité à plusieurs vitesses », l’organisation territoriale de l’ensemble des forces de l’ordre, quel que soit leur statut, doit être repensé en prenant en compte les besoins en sécurité des différents territoires. Dans ce cadre, la CFDT plaide en faveur de la mise place d’une réelle complémentarité pensée et réfléchie au nom de l’intérêt général entre les différentes polices et forces de gendarmeries. « Il faut (re)fonder un pacte, qui soit conjointement accepté, entre les forces de l’ordre et les citoyens, conclut Jocelyne Cabanal. Le rôle et le courage des politiques seront centraux pour parvenir à dépassionner ce débat et résister aux pressions des citoyens et électeurs animés par le sentiment d’insécurité. » C’est en relevant ce défi que la société française sortira de cette période difficile à la fois apaisée et renforcée sur ses fondamentaux.
*La CFDT organise le 28 juin un colloque sur le thème de la sécurité réunissant des salariés des différents métiers concernés par la sécurité.
ROCHE-1Sebastian Roché
“Les personnes les plus satisfaites de la police sont celles qui n’ont jamais affaire à elle”
Directeur de recherche au CNRS.
On confond souvent insécurité et sentiment d’insécurité. Comment définissez-vous ces deux concepts ?
L’insécurité n’existe pas si elle n’est pas ressentie. Les deux notions renvoient donc à la perception d’une menace. Dans les années 70, le gouvernement a commencé à parler du sentiment d’insécurité en même temps qu’il s’est soucié de la sécurité quotidienne des Français, celle d’aller et venir dans les rues ou les parcs en toute quiétude d’esprit. Cette notion a émergé parallèlement à celle de « petite ou moyenne délinquance » dans les débats publics. L’insécurité était une manière de pointer les attentes des citoyens, la délinquance ordinaire étant le problème à résoudre. Les deux termes restent associés, pour le moment encore, du fait de leur naissance simultanée en politique.
L’insécurité est une thématique politique majeure de ces dernières années. Cette tendance est-elle récente ?
L’insécurité au sens large est un élément essentiel de la politique. On ne gouverne pas un peuple libre
sans offrir de la sécurité, ou tout au moins en promettre. Mais la rhétorique du gouvernement change avec le temps. Autant le sentiment d’insécurité a été mobilisé entre 1975 et 2000, autant il est tombé en désuétude après, progressivement. La gauche, qui voyait dans l’utilisation de l’insécurité par la droite une manière de manipulation des foules pour leur faire oublier leur domination par le capitalisme, une fois arrivée au pouvoir en 1981, a dû changer son fusil d’épaule. Droite et gauche, à partir de ce moment,
ont parlé le même langage. Celui de M. Cazeneuve, aujourd’hui, n’est que le reflet des habitudes langagières prises depuis vingt ans : la criminalité est inacceptable, les délits seront sanctionnés sévèrement, les policiers sont exemplaires, l’autorité de l’État ne peut être bafouée… Le prochain ministre dira la même chose, au mot près.
Quelle est l’évolution des attentes de la population vis-à-vis des forces de l’ordre depuis quarante ans ?
Il faut savoir que les personnes les plus satisfaites de la police, dans les enquêtes d’opinion, sont celles qui n’ont jamais affaire à elle. Ni comme auteur de délits, bien sûr, ni comme victime, ni comme usager d’un service au commissariat, ou en ayant fait l’objet d’un contrôle. Il faut donc se garder d’une lecture naïve de ces études. La population souhaite un service tourné vers ses besoins, la sécurité passant d’abord par la prévention des délits, puis par la prise en charge, lorsqu’on est victime. Les études montrent une attente de proximité, c’est-à-dire une combinaison de proximité physique et d’accessibilité (si la police passe à côté de nous en voiture, vitres fermées, elle ne l’est pas). Elle critique le caractère partial des agents, le fait 
que les personnes ne soient pas traitées de la même manière suivant leur quartier de résidence ou la couleur de leur peau. En résumé, les attentes portent sur le service – un service qui correspond à leurs priorités – ainsi que sur la qualité et l’égalité de ce service. S’orienter dans cette direction supposerait d’institutionnaliser la notion de qualité de service, d’en faire un élément central de la formation des agents,
puis de leur évaluation au niveau individuel et pour les équipes, mais aussi pour la carrière des cadres. En France, nous en sommes loin. La notion de qualité n’a pas d’existence organisationnelle : on lui préfère l’idée de quantité (par exemple de crimes élucidés ou encore d’interpellations) pour mesurer la performance. Tant que cela ne changera pas, le public sera insatisfait. 

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