dimanche 8 mai 2016

Les Français ont beau faire des bébés, les communes investissent de moins en moins dans les établissements d’accueil du jeune enfant (Eaje). Et elles délèguent de plus en plus la gestion de leurs crèches au secteur privé.

Crèches : les communes confient la garde au privé

Publié le • Par • dans : A la une, France
0
Commentaire
Réagir
© Abhiney / Wikimedia commons
Règles de gestion qui se complexifient ou budgets municipaux en berne : autant de raisons qui poussent davantage de communes à se délester de l’accueil de la petite enfance au profit d’entreprises dont l’envergure nationale permet de réaliser de substantielles économies.
 

Les Français ont beau faire des bébés, les communes investissent de moins en moins dans les établissements d’accueil du jeune enfant (Eaje). Et elles délèguent de plus en plus la gestion de leurs crèches au secteur privé. Daniel Lenoir, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), décrit la tendance : « En 2012, nous avions une enveloppe globale d’investissement dans les crèches de 780,5 millions d’euros. Les communes y contribuaient à hauteur de 39,7 %. En 2014, non seulement le montant global a chuté à 310 millions d’euros, mais le taux de participation des communes est tombé à 23,6 %. »
Aujourd’hui, 37,5 % des places nouvelles sont créées par le secteur marchand, alors qu’il ne gère que 10 % du parc. « Avec la baisse de la dotation générale de fonctionnement et la pression sur l’emploi public, les communes ont tendance à déléguer davantage la gestion de leurs Eaje », précise Daniel Lenoir. « Nous n’avons jamais eu autant de dossiers qu’en 2015. En 2004, il y avait 30 à 40 appels d’offres par an. En 2015, on en a compté environ 140 », détaille Jean-Emmanuel Rodocanachi, président des Petits Chaperons rouges, un des leaders du marché avec 250 crèches, et de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Cette dernière s’est d’ailleurs penchée sur le phénomène. De janvier 2011 à avril 2014, elle a étudié la totalité des 404 appels d’offres publiés aux journaux officiels concernant un Eaje. Les deux tiers des marchés sont des délégations de service public (DSP).

Gestion complexe

La complexité croissante de gestion d’un Eaje n’y est pas étrangère. Depuis la réforme de la prestation de service unique, en 2014, les caisses d’allocations familiales ont en effet cessé de financer les établissements sur la base d’un forfait jour, pour le faire à l’heure, ce qui demande une réelle précision de suivi de gestion. C’est aussi moins de recettes pour les villes qui doivent compenser par de l’accueil occasionnel. « Pour cela, il faut être équipé, informatisé et capable de réunir une commission d’admission en temps réel et non une ou deux fois par an. Pour toutes ces raisons, les communes préfèrent externaliser la gestion de leur crèche », avance Jean-Emmanuel Rodocanachi.
D’autant que le montant d’une place en crèche ne fait qu’augmenter. Le coût de fonctionnement moyen d’une place à l’année était de 13 347 euros en 2011, puis de 14 330 euros en 2013, soit une augmentation de 7 % en deux ans, d’après les chiffres de l’Observatoire national de la petite enfance. La Cnaf a lancé une étude pour expliquer cette inflation, qui n’incite pas les collectivités à investir. « Les premiers résultats montrent que les coûts de gestion d’une place varient de un à deux selon les établissements. Nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des données de gestion de la part des crèches, ce qui démontre qu’elles ne sont pas toujours très bien gérées », admet Daniel Lenoir. De ce point de vue, le secteur privé possède des atouts indéniables.

Affermage ou concession

« Beaucoup de collectivités nous demandent des solutions pour améliorer le rendement de leur établissement, témoigne Christophe Durieux, président de People&baby, un autre poids lourd du secteur avec 230 crèches dont 40 % en DSP. Depuis deux ou trois ans, on nous confie de plus en plus l’extension d’établissements existants. En augmentant l’agrément, des économies sont possibles », explique-t-il. Son entreprise a interrogé un panel de maires de tous bords politiques. « En déléguant la gestion de leur établissement, ils réalisent une économie de 20 à 30 % sur les coûts résiduels », illustre Christophe Durieux.
Si la majorité des DSP met en œuvre un contrat d’affermage, dans lequel l’opérateur privé gère une structure municipale existante, 7 % des appels d’offres proposent une concession. Dans ce cas, la commune lui confie la construction et la gestion de la crèche sur une durée moyenne de quinze ans, révèle l’étude de la FFEC.

Peser sur les prix

Une tendance nouvelle mais en croissance, confirme Christophe Durieux, dont l’entreprise compte une dizaine de concessions. C’est que les coûts à l’investissement ont fortement augmenté entre 2000 et 2013, passant de 18 079 à 34 312 euros par place (+ 89 %), comme l’a pointé le Haut Conseil de la famille en 2014. « Quand nous construisons une crèche, il faut compter 30 000 euros par place. A chaque fois que nous reprenons la gestion d’une crèche construite par une commune, le prix de revient n’est jamais en deçà de 40 000 à 50 000 euros par place », affirme Jean-Emmanuel Rodocanachi. Avec un parc de plusieurs centaines d’établissements sur toute la France, les entreprises de crèches sont capables de peser sur les prix, avantage que ne possède pas la commune qui construit une crèche tous les cinq à dix ans.
Focus

Des entreprises jamais à court de solutions

Nouveau financement En 2006, quand Saint-Nom-la-Bretèche (5 000 hab., Yvelines) a décidé d’implanter une crèche sur son territoire, la ville a d’emblée choisi d’en déléguer la gestion à une entreprise de crèches. « Nous faisons confiance à ces professionnels de la petite enfance pour recruter le personnel. Ils proposent aussi des activités intéressantes et des produits bios à chaque repas », explique Nadine Merle-Demoor, directrice générale des services de la ville. Anne Fromenteil, adjointe (LR) au maire de Pontoise (29 800 hab., Val-d’Oise), chargée des affaires scolaires, de l’enfance et de la jeunesse, fait la même analyse. Pontoise possède cinq crèches dont la dernière, de 60 berceaux, a directement été confiée en délégation de service public, sous la forme d’une concession de vingt ans. « Si le personnel est malade, ils sont capables de le remplacer beaucoup plus facilement que nous. Et puis, de nos jours, créer des postes dans une municipalité, c’est compliqué… » admet-elle. Si Pontoise a choisi la concession, c’est pour la rapidité de mise en œuvre : « La construction s’est faite en neuf mois, le temps d’une grossesse ! » souligne Anne Fromenteil, mais pour un coût d’investissement très élevé de 55 450 euros par berceau.

Vendre des berceaux

Les entreprises de crèches n’étant jamais à court d’idées, elles proposent désormais aux collectivités de « vendre » quelques berceaux de leurs crèches municipales à des entreprises. Une solution qui permet de dégager de l’argent quand les communes souffrent de la baisse des dotations. Saint-Nom-la-Bretèche considère cette option avec attention depuis que le département des Yvelines a brusquement cessé de verser les 5,50 euros de subvention par berceau aux crèches du territoire. « Un manque à gagner de 49 500 euros pour notre délégataire que nous devons compenser », détaille Nadine Merle-Demoor. Pontoise a aussi reçu cette proposition que l’élue pourrait accepter, à condition que ces places bénéficient aux habitants de la ville. « Sinon, je n’en vois pas l’intérêt », remarque-t-elle.

Aucun commentaire: