dimanche 29 mai 2016

Déontologie des fonctionnaires : une protection efficace semble impossible, estime Claire Le Calonnec, représentante d’Interco-CFDT : « Même si un agent ne peut être licencié, il peut être mis au placard. En tant que fonctionnaires, nous sommes protégés du pire mais la véritable protection n’existe pas. »

Déontologie des fonctionnaires : une meilleure protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte

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La loi « déontologie » a élargi la protection des lanceurs d’alerte dans la fonction publique. Si cette protection demeure insuffisante pour certains, d’autres craignent qu’elle n’aboutisse au développement des dénonciations.
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Déontologie des fonctionnaires : des obligations en évolution
Il a fait la une des journaux ces dernières semaines. Le lanceur d’alerte est-il en passe de devenir le nouveau héros de nos démocraties ? Dans la fonction publique, les agents sont, eux aussi, invités à « faire la transparence » autour d’eux.
La loi « déontologie » vise, en effet, à introduire dans le statut un dispositif de protection des agents lanceurs d’alerte pour leur permettre de signaler l’existence d’un conflit d’intérêts. Une bonne nouvelle pour le président de Transparency International France, Daniel Lebègue, qui définit le lanceur d’alerte « comme un remède pour notre démocratie en détresse respiratoire ». En réalité, la mesure laisse sceptique nombre de spécialistes et d’acteurs.

Lanceur d’alerte : une définition trop étroite

Tout d’abord, parce que la définition du lanceur d’alerte demeure trop étroite. Selon Daniel Lebègue, « elle ne concerne que les délits et les crimes. Or, par exemple, les risques sérieux pour la santé publique ne sont ni l’un ni l’autre. Il faut donc l’élargir à tout manquement à la probité ».
Un vœu entendu par le député (PS) Yann Galut qui a déposé le 29 mars une proposition de loi relative à la protection globale des lanceurs d’alerte, dans laquelle ces derniers sont définis comme « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général ».

Millefeuille de lois sectorielles

Une définition plus large permettrait également de mettre fin au millefeuille actuel de lois sectorielles aux injonctions parfois contradictoires (obéissance et respect de la hiérarchie, devoir de réserve et secret professionnel).
En effet, selon Samuel Dyens, avocat spécialiste de ces questions et ancien territorial, « le cadre juridique en vigueur n’offre pas de sécurité juridique et ne répond qu’imparfaitement à la nécessité d’une protection effective du lanceur l’alerte ». Mais une protection efficace semble impossible, estime Claire Le Calonnec, représentante d’Interco-CFDT : « Même si un agent ne peut être licencié, il peut être mis au placard. En tant que fonctionnaires, nous sommes protégés du pire mais la véritable protection n’existe pas. »

Effets pervers

De plus, le risque d’un essor des dénonciations du fait d’une éventuelle meilleure protection du lanceur d’alerte est réel. « Il faut être très vigilant, appliquer déjà l’article 40 du code de procédure pénale (1) et prendre garde aux délations systématiques », souligne Jean-Yves Gouttebel (PRG), président du conseil départemental du Puy-de-Dôme et membre de la commission de déontologie.
« On l’oublie souvent, mais le fait pour un agent de ne pas signaler un cas de malversation dont il aurait eu connaissance peut se retourner contre lui. Nous vivons dans une société qui veut réglementer dans les moindres détails, toutefois, cela peut avoir des effets pervers. »
Didier Jean-Pierre, professeur de droit public, appelle aussi à la vigilance. « De nouvelles dispositions n’étaient pas nécessaires. L’article 40 aurait plutôt dû être assorti de sanctions pénales. Le risque existe d’un développement des alertes éthiques avec la possibilité qu’elles soient infondées… Dans la même veine, peu après la reconnaissance du harcèlement moral dans la fonction publique, nous avons pu observer un développement du nombre de plaintes », explique le juriste.

La prudence de mise

Enfin, la procédure du lanceur d’alerte est longue et difficile, insistent des protagonistes. « Il faut se montrer prudent, estime Johann Laurency, représentant de FO Territoriaux. En tant que représentants syndicaux, on nous raconte beaucoup de choses, mais nous nous devons de vérifier la véracité des faits et de ne pas nous baser uniquement sur la déclaration d’un collègue. »
« Il est très délicat pour un agent de porter seul une alerte, il a besoin de s’appuyer sur une structure spécialisée », conseille un autre représentant syndical.
« Nous ne disposons pas d’un recul suffisant pour connaître l’impact qu’auront toutes ces dispositions visant la transparence sur l’attitude des fonctionnaires et le fonctionnement de l’administration, notamment dans les grandes collectivités, conclut Johann Laurency. Devons-nous nous attendre à une vague de dénonciations de conflits d’intérêts réels ou supposés ? Ou les alertes éthiques vont-elles rester anecdotiques ? »
Focus

Témoignage

« Une démarche solitaire »

Fabienne, territoriale lanceuse d’alerte ayant souhaité garder l’anonymat
La démarche du lanceur d’alerte est solitaire. Sommé de répondre à des convocations multiples chez les juges d’instruction, stigmatisé dans son travail et traité de traître ou d’affabulateur, il est contraint de solliciter une demande de protection à ceux qu’il met ouvertement en cause… J’ai rencontré d’immenses difficultés pour trouver un avocat. Il faut être d’une grande intégrité et faire preuve d’une grande indépendance pour accepter de défendre un lanceur d’alerte englué dans une affaire avec de fortes interactions politiques. Par ailleurs, de nombreux lanceurs d’alerte ne retrouvent pas d’emploi. Les employeurs sont mal à l’aise avec ce citoyen trop attentif. Ils n’arrivent pas à sortir de la dichotomie traître ou héros.

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