vendredi 24 janvier 2014

Pour la première fois en France, le bureau d'études Compas établit le taux de pauvreté local des cent plus grandes villes. Un nouvel indicateur pour localiser où est la pauvreté et en comprendre les causes structurelles. Marseille est en bas du tableau avec plus de 93 000 personnes sous le seuil de pauvreté

Pauvreté : en finir avec la politique 

de l’autruche

 François Chérèque,, président de l’Agence du service civique

Chargé du suivi du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté

 et pour l’inclusion sociale, François Chérèque commente pour
la Gazette son premier rapport annuel, remis, jeudi 23 janvier 2014 au gouvernement.

CHEREQUE (1)
Vous qualifiez le bilan de cette première année de « globalement positif » tout en faisant de nombreuses préconisations. Quels sont les points les plus préoccupants ?

La mission qui nous a été confiée est de faire des propositions pour adapter le plan à la réalité,
soit l’augmentation de la précarité, et aux priorités locales. Par exemple, si la pauvreté des
personnes âgées a connu une baisse générale, elle redevient un souci dans certains départements.
Aujourd’hui, nous en sommes à l’étape du réajustement national et des ajustements locaux.
 Au niveau national, nous demandons des prises de décision. Il est urgent de trancher la
 question du traitement des demandes d’asile. La non décision depuis plus de dix ans sur
ce sujet freine considérablement la réforme de l’hébergement d’urgence et met dans une
 situation de rivalité, inacceptable, des publics. Même dans les départements où l’hébergement
 n’est pas en tension, l’hébergement d’urgence est un problème. Pour le public des demandeurs
 d’asile, il y a des solutions, comme l’intermédiation locative gérée par les associations.
Egalement, l’un des manquements du plan pour cette première année est le retard pris
dans la réforme du RSA activité, avec le risque de devoir réformer avec moins de moyens.

Quelles sont les répercussions du débat sur la décentralisation sur le déploiement du plan ?

 Lors des rencontres territoriales que nous avons organisées, l’ensemble des acteurs ont exprimé
 un vrai souhait, que nous n’avions pas anticipé, de simplification. « Qui fait quoi ? » et « qui est
responsable de quoi ? » Avec le constat, regrettable, que le flou actuel s’avère préjudiciable pour
 les bénéficiaires. Dans le même temps, des départements ont fait savoir que la compensation
de l’Etat pour faire face aux prestations obligatoires ne suffit pas. Deux éléments qui démontrent
que la solution n’est pas seulement budgétaire, mais aussi organisationnelle. Et n’oublions pas
 le malaise des agents des services de l’Etat dont les effectifs sont à la baisse. Le danger serait
 que le débat sur la décentralisation conduise à définir le champ d’action de l’Etat uniquement
 par défaut alors qu’il a un rôle de coordination et d’impulsion.

Quel pilotage local du plan préconisez-vous ?

On reste sur le principe du conseil général chef de filat, affirmé par le gouvernement.
 L’implication des conseils généraux est déjà très forte, au-delà des clivages politiques.
Mais nous avons souhaité donner une dimension régionale à cette organisation en
indiquant que le pilotage stratégique devait être porté par le préfet de région et les
 présidents des CG. En matière de lutte contre la pauvreté, il est important d’avoir une
 vision large, à l’échelle d’une région, ne serait-ce que la question de la mobilité des
 personnes. D’ailleurs, nous avons remarqué que les DG et les présidents des CG
communiquent à cet échelon, comme dans le cas du rapprochement entre les
départements du Nord et du Pas de Calais. Après, le projet de modernisation de
 l‘action publique apportera certainement des précisions.

Le plan laisse une large place à l’expérimentation. Est-ce un choix stratégique ou qui est guidé par le manque de moyens de financiers ?

En matière d’expérimentation, il y a tous les cas. Il y a eu des expériences qui ont été
généralisées avant d’être évaluées. C’est le cas du RSA activité, et, aujourd’hui, on se rend
compte qu’il y a des failles dans le système. Soulignons d’ailleurs que le secteur social
est culturellement réfractaire à la question de l’évaluation. Aujourd’hui, nous lançons
 la garantie jeunes sur des territoires pilotes. Nous voulons vérifier si cette mesure est
 vraiment ce dont les jeunes ont besoin. Son évaluation a été confiée à un comité
 scientifique dirigé par Marc Gurgand, chercheur spécialisé sur les politiques publiques,
 évaluation à laquelle nous serons très attentifs avant de décider d’une généralisation.

Quelle analyse faites-vous de la réforme de l’accueil des mineurs isolés étrangers (MIE) ?

Elle n’a pas totalement fonctionné, et ce, pour deux raisons : des prises de position politique
qui ont conduit à un refus d’accueil de MIE dans certains départements, – on peut dire que,
 dans ce cas, la solidarité entre départements n’a pas fonctionné -, et des difficultés financières
 pour des collectivités qui ne peuvent pas prendre en charge une augmentation du nombre
de jeunes placés. C’est pourquoi nous demandons une anticipation de l’évaluation de la
réforme, initialement prévue pour cet été, afin d’aborder l’avenir plus sereinement.

L’un des temps forts de 2014 sera les Etats généraux du travail social. Où en est-on de leur organisation ?

Le premier des ateliers inter régionaux se déroule à Marseille fin janvier pour préparer
cette rencontre nationale, qui se tiendra en octobre. Le travail social est un sujet à fort
 enjeu politique, qui intéresse autant les décideurs que les financeurs et le personnel sur
le terrain. Ces derniers expriment l’envie, légitime, que l’on réfléchisse à l’évolution de
 leurs métiers et de leur statut. Néanmoins, il s’agit bien des Etats Généraux du travail
social et non pas de ceux des travailleurs sociaux.

  • Distinguer un pilotage stratégique, à l’échelon régional, d’un pilotage opérationnel, à l’échelon départemental.
  • Assurer le co-portage du plan entre l’Etat et les conseils généraux, tant au niveau régional que dans les départements.
  • Prendre position sur la réforme du RSA activité, définir un calendrier d’action précis ainsi que des moyens nécessaires.
  • Amplifier les efforts engagés en vue d’une sortie de la « gestion au thermomètre » de l’hébergement d’urgence.
  • Examiner les possibilités d’automatisation de certaines prestations sociales.
  • Engager une réflexion sur les implications pratiques du principe de participation des bénéficiaires.
  • Dresser un état des lieux de la question des discriminations sociales en matière d’accès la restauration scolaire.
  • Engager une réflexion sur l’aide alimentaire afin de garantir son efficacité.




Pour la première fois en France, le bureau d'études Compas
 établit le taux de pauvreté local des cent plus grandes villes.
 Un nouvel indicateur pour localiser où est la pauvreté et en 
comprendre les causes structurelles. « La Gazette » publie, 
en exclusivité, ces estimations. Elles n’ont pas pour but 
d’établir un classement, mais de fournir un outil de 
connaissance permettant à l’action publique 
d’offrir une meilleure réponse.
  1. De la difficulté à appréhender la notion de pauvreté
  2. Adopter les bons outils d’observation
  3. Où se situe la précarité ?
  4. Poids du logement social
  5. Où le taux est-il le plus faible ?
  6. Le taux de pauvreté des 100 plus grandes villes françaises : infographie interactive
«Grâce à ce nouvel indicateur, on défriche », annonce Louis Maurin, consultant au sein du bureau d’études Compas et directeur de l’Observatoire des inégalités. L’outil est inédit à deux titres : il donne une vision locale de la pauvreté et intègre aux données fiscales communiquées par l’Insee les prestations sociales, ramenées, elles aussi, à un niveau local.
Le classement va de 7 % de taux de pauvreté à Neuilly-sur-Seine à 46 % à Roubaix. Ce large écart souligne que, lorsqu’il s’agit de pauvreté, les moyennes nationales ne peuvent pas être significatives. « En intégrant les prestations sociales, les résultats, tout en restant des estimations, gagnent en objectivité », précise Louis Maurin. Et d’ajouter : « L’Insee, qui s’était engagé à fournir ces chiffres en 2012, a repoussé ce travail à 2014. En aucun cas, il ne s’agit de stigmatiser, mais de montrer où est l’urgence et d’inciter à des politiques sociales plus justes. Sans, non plus, que les personnes pauvres vivant dans des villes affichant un taux bas soient oubliées. »

1 – De la difficulté à appréhender la notion de pauvreté

Le taux de pauvreté calculé par Le Compas correspond au pourcentage de ménages qui, dans une ville donnée, perçoivent moins de 60 % du revenu médian national après prestations et avant impôts (soit 954 euros). « Ainsi, déclarer que Sarcelles a un résultat de 33 % ne veut pas dire que le tiers de sa population vit dans la précarité. Notre taux circonscrit une pauvreté concernant des gens modestes, pas la grande pauvreté », précise Hervé Guéry, directeur du Compas.
Si, en France, comme dans les autres pays de l’Union européenne, le taux de pauvreté s’apprécie en fonction du niveau de vie de l’ensemble de la population, les acteurs du secteur social se mobilisent pour la mise en place de nouveaux indicateurs, par exemple celui de la « pauvreté ressentie », afin de dépasser la notion de « pauvreté monétaire ».
« Car la pauvreté est un phénomène complexe qui se manifeste sous des formes renouvelées », analyse Daniel Zielinski, délégué général de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale.
En 2009, la France comptait 4,5 millions de personnes pauvres en fixant le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,2 millions en utilisant le seuil de 60 % (contre 7,8 millions en 2008). Toujours en 2009, l’estimation du nombre de « travailleurs pauvres » allait, selon la définition retenue, de 1,5 million à 7 millions d’individus.
On le voit, la pauvreté n’est pas réductible à un seul indicateur et chaque outil de calcul en donne une nouvelle image.

2 – Adopter les bons outils d’observation

Louis Maurin invite les communes à « poursuivre le travail entrepris par Le Compas pour connaître leur pauvreté locale ». Nombre de villes ont déjà engagé cette démarche, selon des outils et une méthode qui leur sont propres.
Strasbourg (taux Compas : 24 %) s’appuie sur les études d’un observatoire dédié qui « fournit un diagnostic affiné à la plus petite échelle possible, celle de l’Iris » (1), explique Hélène Rihn, responsable de l’action sociale territoriale à la ville. « Ce diagnostic nous a servi, notamment, à fixer les seuils des tarifs des transports en commun ou à déployer nos équipes là où les besoins sont les plus forts », poursuit-elle.
A Mulhouse (taux : 32 %), ce sont les conclusions de l’agence d’urbanisme mulhousienne qui ont incité la ville et le conseil général du Haut-Rhin à réorganiser leur intervention. « La collectivité s’est recentrée sur l’aide d’urgence, le département sur l’accompagnement », précise Brigitte Göllner, directrice générale adjointe chargée de la solidarité. « Le travail de l’agence d’urbanisme nous a permis de mettre en place une plateforme RSA pour accélérer l’ouverture des droits », ajoute-t-elle.

3 – Où se situe la précarité ?

Les données du Compas montrent que la pauvreté se concentre dans les villes de grande taille – qui rassemblent un tiers des ménages précaires alors qu’elles ne regroupent qu’un cinquième de la population – et non pas en zone périurbaine. « La ville attire les plus démunis, car on y trouve le plus d’opportunités de logement et d’emploi », rappelle Hervé Guéry.
En analysant par typologies de communes, on constate que la pauvreté est très forte dans les villes des départements d’outre-mer (Saint-Pierre à La Réunion : 46 %) et dans celles souffrant de la désindustrialisation (Calais : 32 %). Viennent ensuite les communes périphériques des grandes agglomérations (Vénissieux : 32 % ; Bondy : 28 %), où l’emploi peine à se développer, et certaines villes du Sud de la France particulièrement touchées par le chômage (Avignon : 30 % ; Nîmes : 29 %).
Des villes comme Marseille (26 %) et Lille (27 %) affichent une situation plus contrastée : « On y trouve une pauvreté importante et un dynamisme économique », note le directeur du Compas.

4 – Poids du logement social

« L’analyse de ce classement permet de prendre la pleine mesure de l’importance du logement social dans la répartition de la pauvreté sur le territoire », insiste Hervé Guéry. Des villes qui concentrent la majorité du parc de logements sociaux de leur agglomération affichent un taux de pauvreté supérieur à la moyenne, comme Strasbourg ou Beauvais (taux : 24 %).
« Beauvais regroupe 98 % des logements sociaux de son agglomération. S’y installer représente l’espoir de trouver un logement et un travail pour une population précaire, qui est en constante augmentation sur notre territoire », confirme Raphaël Legendre, directeur du centre communal d’action sociale.
A l’inverse, d’autres villes de taille importante se situent autour du taux moyen car les ménages pauvres sont aussi accueillis dans les plus petites communes périphériques – telle est la configuration de Dijon (taux : 13 %) – ou dans une autre grande ville du département, comme pour Aix-en-Provence qui compte un moindre nombre de ménages pauvres (taux : 14 %) en raison du fort pouvoir d’attractivité de Marseille.
Dans cette analyse du poids du logement, il ne faut pas oublier la présence de l’habitat ancien dégradé, logement social de fait, qui explique certains taux de pauvreté supérieurs à la moyenne, comme à Bordeaux (18 %).

5 – Où le taux est-il le plus faible ?

Sans vraie surprise, le taux de pauvreté est faible dans les villes de l’Ouest parisien (Versailles : 7 %), qui se caractérisent à la fois par la présence d’une population très aisée et par une offre faible en logements sociaux.
Les cas de Quimper (taux : 13 %) ou de Cholet (14 %) sont, quant à eux, riches d’enseignements : ces communes se distinguent par un certain dynamisme économique, par une part de la population issue de l’immigration – davantage touchée par la pauvreté – qui reste modeste et par un moindre écart entre les revenus des plus riches et ceux des plus précaires.
On retrouve ces villes dans le classement des villes dites « égalitaires », établi selon l’indice de Gini (lire le tableau), qui compare l’état de la répartition des revenus à une situation théorique d’égalité absolue où tous les individus auraient le même revenu. Enfin, les taux de Paris (16 %) et de Lyon (15 %) sont à mettre en corrélation directe avec la hausse du prix du logement locatif : les ménages disposant de revenus modestes ont renoncé, depuis déjà plusieurs années, à habiter les plus grandes villes de France.

6 – Le taux de pauvreté des 100 plus grandes villes françaises : infographie interactive

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Conférence à l’automne

Le 13 juillet, François Hollande a annoncé la tenue d’une conférence « à l’automne » afin d’élaborer un « plan quinquennal pour l’égalité, la dignité et pour la lutte contre la pauvreté et les exclusions ». Ce plan sera piloté par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée de la Lutte contre les exclusions. Le Président a précisé que les collectivités locales seront associées à cette concertation, aux côtés des grandes associations et des entreprises.
Note 01:
Iris : îlot regroupé pour des indicateurs statistiques. Il constitue la brique de base en matière de diffusion de données infra-communales. Il doit respecter des critères géographiques et démographiques et avoir des contours identifiables sans ambigüité et stables dans le temps,indique l’Insee. - Retourner au texte

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