dimanche 17 avril 2016

Le projet de loi travail a suscité des controverses et des inquiétudes. C’est sans doute le renforcement de la négociation collective qui a été le point le moins bien compris. Certains ont dit que c’était la fin du droit du travail protecteur. Que tout allait désormais être décidé dans l’entreprise, par l’employeur, au détriment des salariés. Loin de souscrire à ces idées, la CFDT a toujours défendu le dialogue social et la négociation collective..Explications de Laurent BERGER Secrétaire général de la CFDT

Négocier pour partager le pouvoir dans l’entreprise

Le projet de loi travail a suscité des controverses et des inquiétudes. C’est sans doute le renforcement de la négociation collective qui a été le point le moins bien compris.
Certains ont dit que c’était la fin du droit du travail protecteur. Que tout allait désormais être décidé dans l’entreprise, par l’employeur, au détriment des salariés.
Loin de souscrire à ces idées, la CFDT a toujours défendu le dialogue social et la négociation collective. Je voudrais éclairer le sens de notre positionnement.
Il peut se résumer en une phrase : la négociation collective permet aux salariés de peser sur les décisions qui les concernent, et d’être plus efficacement protégés. Cela passe par un renforcement du rôle et la responsabilité du syndicalisme dans l’entreprise.

Négocier, c’est contester la légitimité de l’employeur à décider seul sur un certain nombre de sujets.
Cela s’appuie sur une certaine conception de l’entreprise. Pour une partie du patronat, l’entreprise se confond avec l’employeur. Il est donc seul à savoir ce qui est bon pour elle. Pour une partie des syndicats, l’entreprise, c’est l’adversaire. Finalement, eux aussi s’accordent à assimiler l’entreprise au patron.
La CFDT, elle, a toujours défendu une autre vision.
Pour nous, l’entreprise c’est aussi et d’abord les salariés, qui produisent sa richesse et qui de plus en plus, supportent les risques liés à son activité. Il est donc normal qu’ils participent aux décisions.
Depuis cinquante ans, forte de cette conviction, la CFDT est un interlocuteur extrêmement exigeant, voire pénible, pour les employeurs. Nous revendiquons un juste partage de la valeur ajoutée, et de bonnes conditions de travail pour les salariés. Mais contrairement à d’autres organisations syndicales, nous ne nous en contentant pas. Nous voulons imposer des discussions sur les orientations stratégiques, sur l’organisation du travail. Nous voulons partager le pouvoir dans l’entreprise, grâce à l’action syndicale et à la négociation collective.
Qu’est-ce qu’une « négociation collective » ? Certainement pas dire « oui » ou « non » à un projet élaboré par la direction. Négocier implique de développer une expertise autonome, d’être capable d’anticiper et de faire des propositions, de peser pour obtenir des contreparties. Mais aussi d’articuler les demandes des différentes catégories de salariés au sein d’un intérêt commun, sans quoi c’est le choc des corporatismes au sein de l’entreprise. Qu’est-ce qu’un accord collectif ? Un peu plus qu’une somme de contrats individuels…
Ce travail de négociation ne peut être fait que par des représentants syndicaux, soutenus par leur organisation, protégés par leur mandat, implantés dans l’entreprise au plus près des salariés et en dialogue constant avec eux.
La CFDT continuera à exiger plusieurs garanties dans la loi El Khomri afin de renforcer leur rôle : 1) pas de négociation sans syndicats, pour éviter une confrontation directe entre les salariés et employeur qui aurait toutes les chances de se transformer en chantage à l’emploi  2) en cas d’absence de syndicats dans l’entreprise, l’obligation de permettre aux représentants des salariés d’être soutenus et formés par une organisation syndicale tout au long du processus de négociation 3) le renforcement des heures de délégation pour les délégués syndicaux 4) des accords collectifs qui doivent être signés par la majorité des organisations syndicales pour être valides, afin qu’ils soient encore  plus légitimes.

Négocier, c’est améliorer la protection des salariés.
La CFDT assume une conception du progrès social qui ne se mesure pas à l’épaisseur du Code du travail, mais plutôt à l’effet concret des droits sociaux. Sont-ils adaptés aux besoins des salariés ? Sont-ils appliqués dans l’entreprise ? Les salariés ont-ils réellement les moyens de s’émanciper dans leur travail, ou en ont-ils juste formellement la possibilité ?
Le droit du travail est protecteur ou il n’est pas. Mais il ne se résume pas à la loi, car la loi ne peut pas tout. Parce qu’elle est uniforme, alors que le monde économique est complexe, que les réalités sociales et les besoins des salariés sont différents selon les secteurs, les professions, les territoires. Parce que souvent elle est obscure et méconnue, ce qui permet à l’employeur de s’en affranchir.
D’ailleurs aujourd’hui, les salariés sont mieux protégés quand ils sont couverts par des accords collectifs, plutôt que quand le Code du travail s’applique seul dans l’entreprise.
C’est la raison pour laquelle il est important d’ouvrir, au plus près des réalités de travail, un espace de création de droits qui s’articule avec celui de la loi.
A deux conditions : 1) une loi qui offre un haut niveau de garanties pour tous les salariés 2) des « garde fous » pour que la négociation soit de qualité, c’est-à-dire pour qu’elle intervienne afin d’adapter le droit aux situations concrètes, et non pour diminuer le niveau de protection.
La CFDT s’est battue pour que le projet de loi El Khomri intègre ces garanties.
Le rôle protecteur de la loi est maintenu. Pour une partie - « l’ordre public social »-, elle énonce les droits fondamentaux auquel il est absolument impossible de déroger. Pour l’autre partie, le « socle supplétif », elle contient le droit qui s’applique quand il y n’y a pas d’accord collectif.
Entre ses deux bornes, il y a le champ ouvert au droit conventionnel, de branche ou d’entreprise/
Deux verrous supplémentaires viennent encadrer la négociation d’entreprise :
-  S’il n’y a pas d’accord, c’est le droit tel qu’il existe aujourd’hui qui s’applique et donc, absolument rien ne change pour les salariés. Le maintien intégral du droit actuel en matière de durée du travail, c’est ce qu’a obtenu la CFDT dans la « version 2. Donc il n’y a aucune obligation de négocier si le rapport de force est défavorable dans l’entreprise
- Le rôle régulateur des branches est réaffirmé. Elles fixent les marges de manœuvre laissées aux entreprises pour négocier, sur des sujets comme la modulation sur plus d’un an, ou le temps partiel à moins de 24h, par exemple.
Pour la CFDT, il faut impérativement renforcer le fait syndical dans l’entreprise - mandatement, accords collectifs, augmentation des heures de délégation…-, pour construire du rapport de force dans la négociation. La CFDT continue de peser dans ce sens dans le cadre du débat parlementaire.
Construire du rapport de force, c’est pouvoir dire aux employeurs : là où avant vous décidiez seul, il faudra désormais négocier. Et si vous refusez des contreparties, rien ne bouge et c’est le droit actuel qui s’applique. C’est pouvoir dire à toutes les organisations syndicales : si vous ne prenez pas la responsabilité de la signature, il n’y aura pas d’avancées pour les salariés.
La CFDT veut un syndicalisme efficace et utile aux salariés, et elle voit dans cette « loi travail » une occasion d’aller plus loin dans cette direction.
Notre conviction, c’est que les grands équilibres ne s’imposent pas « d’en haut », mais qu’ils se construisent avec des compromis négociés en proximité. C’est un pari, celui de faire confiance aux acteurs – dans un cadre protecteur strictement défini. C’est une conception de la démocratie.
Si d’autres organisations syndicales préfèrent confier à la loi la responsabilité intégrale de la protection des salariés, et au patron la responsabilité intégrale de la décision dans l’entreprise, tout en se réservant un simple rôle de « caisse de résonance » aux mécontentements des salariés…après tout, c’est leur problème.
A la CFDT, nous avons fait le choix depuis longtemps de la négociation et de la confiance dans nos militants d’entreprises. C’est plus exigeant, cela demande de la formation, des moyens, des débats…Mais c’est le sens de notre engagement, pour que les salariés soient mieux protégés en fonction de leurs besoins, et pour qu’ils puissent s’émanciper dans leur travail.

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