mercredi 13 janvier 2016

Laurent Berger lors de sa rencontre avec Manuel Valls, premier ministre et Madame Myriam El Khomri, ministre de l'emploi, du travail, du dialogue social et de la formation professionnelle, au sujet des annonces du président Hollande sur l'emploi lors de ses voeux

Le blog de Laurent Berger

Intervention devant Manuel Valls et Myriam El Khomri - 11 janvier 2016

J'ai rencontré le 11 janvier Monsieur Manuel Valls, premier ministre et Madame Myriam El Khomri, ministre de l'emploi, du travail, du dialogue social et de la formation professionnelle, pour une rencontre bilatérale au sujet des annonces du président Hollande sur l'emploi lors de ses voeux. Voici ce que je leur ai dit: 
Nous sortons d’une année marquée par le traumatisme des attentats de janvier et de novembre, et par l’accentuation d’une crise démocratique, qui se nourrit d’une situation économique et sociale toujours dégradée.
2016 ne démarre pas dans un contexte plus facile ; le chômage reste la première préoccupation des français, alors que la crainte de nouveaux attentats est présente dans tous les esprits. Le défi auquel nous sommes confrontés est de trouver le bon équilibre entre sécurité et liberté, mais aussi de favoriser toutes les initiatives qui permettent de reconstruire du lien social.
Il est également indispensable de rappeler « ce qui marche », de valoriser les avancées obtenues, y compris sur le plan économique et social. L’application de deux nouveaux droits au 1er janvier 2016, qui s’inscrivent dans des objectifs poursuivis de longue date par la CFDT _ la sécurisation des parcours professionnels et la réparation de la pénibilité au travail _ en sont un bon exemple. Il s’agit de :
  • la généralisation de la complémentaire-santé, qui constitue une étape supplémentaire dans l’accès aux soins pour tous ;
  • le compte de prévention de la pénibilité, qu’il faut défendre comme une grande avancée sociale, malgré les attaques incessantes des organisations patronales, alors que tout a été fait pour faciliter la mise en œuvre pratique de cette mesure de justice.
Le temps de la discussion passée, vient maintenant le temps du respect de la loi.
Pour lutter contre le chômage il faut continuer à chercher toutes les solutions possibles. La CFDT ne refuse pas, à priori, une « union nationale » large des partis et des acteurs contre le chômage. Elle s’opposera en revanche fermement à une union de postures qui ferait la part belle à des propositions simplistes, injustes et court-termistes qui postulent que la protection des travailleurs est un frein à l’emploi.
 C’est à ce titre que la CFDT continue de s’opposer à la barémisation des indemnités prudhommales suite à un licenciement injustifié, a fortiori avec un plafond de faible niveau.
L’attitude d’une partie du patronat, qui d’un côté ne cesse de dénoncer les déficits tout en réclamant de l’autre de nouvelles subventions de l’Etat n’est plus tenable, après le pacte de responsabilité.
Certaines branches professionnelles et entreprises se sont engagées, mais elles sont trop nombreuses à ne pas avoir joué le jeu des contreparties en termes d’investissement, de formation des salariés, d’embauche en apprentissage, etc.
Je demande que les partenaires sociaux soient réunis pour faire le bilan des engagements pris en contrepartie du pacte de responsabilité, avant toute autre mesure d’aides aux entreprises.
La création d’une nouvelle aide à l’embauche pour les TPE PME, annoncée par le président de la république lors de ses vœux, nous parait inopportune : le recours élevé à l’intérim montre que dans la période ce n’est pas le cout du travail qui freine l’embauche. Le financement de cette mesure ne doit pas venir s’ajouter aux quarante et un milliards d’euros déjà investis dans le cadre du pacte de responsabilité. En tout état de cause, des contreparties en termes de qualité de l’emploi (embauche en CDI ou en CDD de plus de 6 mois) devront être exigées.
La réponse à l’urgence de la situation économique et sociale ne peut donc pas être : « moins de règles, moins de charges, moins de contraintes » ! Affaiblir les protections des travailleurs au moment où la peur du déclassement jette une partie de nos concitoyens dans les bras des extrêmes renforcerait encore les menaces qui pèsent sur notre pacte républicain.
Il faut donc affirmer sans relâche que le progrès social est encore possible pour sortir du déclinisme mortifère ambiant. Ce n’est ni en proposant d’assouplir les modalités de rupture des contrats de travail, ni en fragilisant les revenus de ceux qui sont déjà le plus en difficultés que nous y arriverons ; pas plus qu’en défendant le statut quo.
C’est bien le défi de la construction d’un nouveau mode de développement que nous devons relever collectivement.
Cela nécessite d’abord  de faire de l’investissement public et privé une priorité, tant au niveau national qu’européen ; c’est la seule option possible pour prendre le virage des transitions écologiques et numérique, créer des emplois de qualité et renouer avec la compétitivité économique ;
A ce titre, l’annonce du lancement de grands travaux publics pour la rénovation des bâtiments et le développement des énergies renouvelables est positive et devra se concrétiser rapidement.
Une alerte cependant sur l’investissement public : la mise en place des nouvelles Régions ne doit pas aboutir à une réduction des dépenses d’investissement au profit du budget de fonctionnement, alors qu’elles sont au cœur des enjeux d’investissement, de la formation des demandeurs d’emploi et de l’abondement du CPA pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire.
Ensuite, cela implique également d’investir sur les personnes, sur leurs compétences et de mettre en place les protections nécessaires pour que chacun puisse construire un parcours professionnel et de vie sécurisé.
Sur le marché du travail, l’inégalité la plus discriminante n’est pas celle du type de contrat de travail, mais celle du niveau de qualification.
La CFDT est donc logiquement très favorable au renforcement du plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi que nous avions revendiqué à la conférence sociale. Mais l’enjeu est de rendre opérationnel et utile ce dispositif, sans faire de « l’occupationnel ».
Sur le contenu de ces formations, l’objectif est que 100% de formations soit utile !
Utile d’abord à l’employabilité de ceux qui vont en bénéficier. Il faut donc penser ce plan en terme de parcours pour les bénéficiaires afin qu’ils améliorent leurs qualifications. Pour cela, il faut flécher la partie la plus importante possible du dispositif sur des formations longues et qualifiantes pour développer les compétences numériques, les compétences nécessaires à la transition écologique, et les besoins en recrutement.
Toute la partie du dispositif qui ne rentrerait pas dans cette problématique doit être fléchée vers des formations au socle de connaissance et de compétences professionnelles.
Pour promouvoir cette logique de parcours, il serait particulièrement bienvenu de lier les aides pour les PME annoncées par le président de la république à l’embauche de bénéficiaires de ce plan.
Contrairement à ce qui est présenté dans le projet de loi « Nouvelles opportunités économiques », nous ne croyons pas que l’investissement  et la reconnaissance des compétences des travailleurs soient un frein à l’emploi : c’est en fait la condition d’une montée en gamme de l’économie française et de la sécurisation des parcours professionnels.
Ces formations doivent également être utiles aux entreprises ; pour cela, le recueil de leurs besoins doit se faire au plus près des entreprises, bassin d’emploi par bassin d’emploi, et organisé au niveau régional. La méthodologie existe désormais pour réussir cela, Il faut s’appuyer sur les CREFOP et rendre leurs travaux plus opérationnels.
La mobilisation des organismes de formation, notamment l’AFPA, sera nécessaire à la réussite de ce plan.
Concernant le financement, nous mesurerons l’ambition de l’Etat à l’aune de son engagement financier. Avec la qualité des formations proposées, la hauteur de l’engagement financier de l’Etat sera notre second critère d’appréciation de ce plan. A côté d’un engagement fort de l’Etat, la CFDT est prête à réorienter vers ce plan des engagements financiers des partenaires sociaux par le biais du FPSPP.
Les Régions doivent également être au rendez-vous de l’enjeu de ce plan massif pour la montée en compétence des demandeurs d’emploi.
Enfin, s’agissant de la gouvernance de ce plan, nous avons deux attentes : un pilotage volontariste aux niveaux national et régional, qui associe les partenaires sociaux, l’Etat et les Régions ; et une évaluation régulière des entrées en formation des demandeurs d’emploi.
La CFDT est également convaincue de la nécessité du développement de l’apprentissage, car il constitue un moyen pour de nombreux jeunes, notamment les jeunes peu qualifiés, de s’insérer dans un monde du travail qui ne leur fait que peu de place. S’il y a consensus sur l’objectif, la mobilisation de tous les acteurs concernés est indispensable, et en premier lieu, celle des entreprises et des branches professionnelles, dans le cadre du pacte de responsabilité.
Plus globalement, la CFDT défend la nécessité d’une stratégie nationale concertée, qui doit s’articuler autour de quatre axes:
-       La rénovation du statut de l’apprenti, acté à plusieurs reprises mais qui n’a pas été mise en œuvre. Nous sommes favorables à lier la rémunération au diplôme préparé plutôt qu’à l’âge et nous demandons un renforcement des aides au transport et à l’hébergement ;
-       La valorisation de l’apprentissage à travers des campagnes de communication régulières ;
-       Des formations mieux adaptées aux besoins du marché du travail. Pour cela, une plus grande concertation des partenaires sociaux sur l’élaboration des formations est nécessaire. Nous sommes prêts à discuter de l’ouverture de l’apprentissage aux titres du Ministère du Travail ;
-       Un accompagnement de qualité tout au long du contrat, d’une part pour les apprentis, avec l’aide des CFA, et d’autres part pour les entreprises, notamment les TPE, en s’appuyant sur les plateformes RH qui existent dans les territoires.
Cette stratégie nationale doit ensuite se décliner en pactes régionaux pour le développement de l’apprentissage permettant de coordonner l’engagement de tous les acteurs.
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Au-delà du plan d’urgence pour l’emploi, ce sont des réformes structurelles qui sont engagées, dans le cadre de négociations menées par les partenaires sociaux et de concertations, dans la perspective de la loi portée par la ministre du travail.
Le compte personnel d’activité peut-être une grande avancée sociale, à condition qu’il ne se limite pas à rassembler les comptes existants sur une plateforme informatique. Pour la CFDT, le CPA doit être un outil de sécurisation des parcours professionnels mais il doit également permettre à chacun de mieux articuler les temps sociaux au quotidien et tout au long de sa vie. C’est pour cette raison que la CFDT revendique que la généralisation du compte épargne temps soit à l’ordre du jour de la négociation en cours sur le CPA, sans, pour l’instant, être entendue par la partie patronale. Si cela devait perdurer, le gouvernement devrait reprendre cette mesure dans la loi.
La CFDT a également été auditionnée par la commission Badinter, sur les suites à donner au rapport Combrexelle. Vous le savez, nous nous étions exprimés très positivement sur l’esprit général de ce rapport ; nous croyons à la capacité des acteurs des entreprises et des branches à trouver les compromis adaptés à la diversité des situations. Mais nous sommes inquiets de ce à quoi pourrait aboutir cette initiative si la cohérence d’ensemble des propositions faites dans ce rapport n’était pas respectée, et notamment si la restructuration des branches et la mise en place des accords majoritaires n’étaient pas menées à bien. Le risque serait alors de détourner une démarche positive de construction de protections nouvelles vers une dérégulation du marché du travail, ce que nous rejetons entièrement.
L’ouverture de la négociation sur l’assurance-chômage à la fin du mois de janvier sera également un rendez-vous important : la CFDT l’aborde avec inquiétude.
L’enchâssement de la négociation de règles spécifiques au régime des intermittents du spectacle dans la négociation du régime générale sera inévitablement source de difficultés d’interprétation et de complexité dans le processus de négociation.
Pour la CFDT, il n’est pas question de remettre en cause les droits des demandeurs d’emploi alors que le chômage demeure à un niveau très élevé. Le maintien d’un bon niveau d’indemnisation couplé à un accompagnement et/ou à une formation sont la condition d’un retour à l’emploi, a fortiori dans le cadre d’une montée en gamme de l’économie.
La CFDT n’ignore pas les enjeux liés à l’équilibre financier du régime d’assurance chômage. Mais le niveau élevé du chômage ne permet pas d’envisager une amélioration significative de la situation : nous devons faire le choix collectif de la solidarité pour l’indemnisation comme pour la formation des demandeurs d’emploi.
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Face aux deux principaux enjeux de 2016_ le chômage de masse et la crise démocratique_ nous avons besoin de l’engagement de l’ensemble des acteurs de la société pour continuer à construire du progrès social et redonner espoir en l’avenir.

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