lundi 22 décembre 2014

Quel avenir pour le statut et les fonctionnaires ? Face à face Le Pors – Sauvadet

Fonction publique


Publié le • Mis à jour le • Par • dans : A la une, A la une emploi, A la Une RH, Actu Emploi, France, Toute l'actu RH
Imprimer
4
Commentaires
Réagir
Anicet Le Pors, conseiller d’Etat honoraire et ancien ministre de la Fonction publique (1981-1984), et François Sauvadet, président du conseil général de la Côte-d’Or et ancien ministre de la Fonction publique (2011-2012), réunit pour un face à face sur le statut de la fonction publique. Anicet Le Pors, conseiller d’Etat honoraire et ancien ministre de la Fonction publique (1981-1984), et François Sauvadet, président du conseil général de la Côte-d’Or et ancien ministre de la Fonction publique (2011-2012), réunis pour un face à face sur le statut de la fonction publique. © V. Vincenzo
« La Gazette » a réuni, le 3 décembre, Anicet Le Pors et François Sauvadet, tous deux anciens ministres de la Fonction publique. Deux visions s’affrontent, sur le nombre de fonctionnaires, le statut, le périmètre de l’action publique et l’avenir de la fonction publique à la française. Retrouvez l’intégralité du face à face, et les principaux extraits, en vidéo.
Découvrez le club
Cet article est paru dans
Le Club Ressources Humaines
Voir le sommaire

Cet article fait partie du dossier

Le statut de la fonction publique, flexible malgré tout
 

Chiffres-clés

La bio express d’Anicet Le Pors
  • Depuis 2000 : conseiller d’Etat honoraire.
  • 1985-1998 : conseiller général (PCF) des Hauts-de-Seine.
  • Juin 1981 - juillet 1984 : ministre délégué puis secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique.
  • 1977-1981 : sénateur des Hauts-de-Seine.
La bio express de François Sauvadet
  • Juin 2011 - mai 2012 : ministre de la Fonction publique.
  • Depuis 2008: président (UDI) du conseil général de la Côte-d’Or.
  • Depuis 1993 : député de la quatrième circonscription de la Côte-d’Or.

1 – Procéder à de nouveaux assouplissements

Dans un contexte financier contraint, le statut est-il un frein pour les collectivités territoriales et l’Etat ?

Anicet Le Pors : Nous connaissons une crise financière, une crise qui touche aussi bien d’autres dimensions de la société. Les services publics, les fonctionnaires, le statut n’y sont pour rien ! Il est assez étrange de demander des comptes aux agents alors qu’ils n’en sont pas la cause. Le gouvernement s’apprête à ponctionner 11 milliards d’euros sur les collectivités. Cette politique, qui fait suite à d’autres du même type, est seule responsable. Un secteur public étendu est un facteur de chances, un « amortisseur social », du point de vue de l’emploi, du pouvoir d’achat, de la protection sociale, du système de retraite et également éthique. Nous disposons d’une fonction publique moralement irréprochable. C’est un espace d’intégrité qui tranche avec l’immoralité des marchés financiers en temps de crise. Le procès qui est fait aux fonctionnaires est injuste.
François Sauvadet : En quarante à cinquante ans, le monde et la pratique des métiers dans la fonction publique ont changé. Nous avons un défi à relever et la responsabilité majeure de ne pas laisser s’accumuler des déficits que nos enfants auront la charge d’assumer. En période de mutations profondes, nous devons réfléchir à ce que doit être une fonction publique modernisée. Sinon, nous mettrons tous les fonctionnaires dans l’impasse. Avec 5,4 millions d’agents, il faut réfléchir à la pertinence de notre organisation territoriale – c’est le cas avec les réformes engagées, même si je ne les partage pas – et au périmètre de la fonction publique d’Etat.
Certains métiers doivent rester sous statut, comme la justice ou la police, mais, pour d’autres, le statut doit évoluer parce qu’il n’est pas protecteur et constitue même une menace pour l’avenir. La fonction publique pèse dans le budget de l’Etat à hauteur de 120 milliards d’euros, c’est une chance mais aussi une charge ! La République s’est décentralisée, pourtant les effectifs de l’Etat sont restés stables. Il faut s’attaquer d’urgence aux phénomènes de doublons, estimés entre 700 000 et 800 000 agents. Cette situation n’est pas tenable, ne serait-ce que du point de vue des finances publiques. L’évolution du statut n’est pas une menace pour les fonctionnaires.

Faut-il continuer à faire évoluer le statut, comme c’est le cas depuis trente ans ?

A. L. P. : Oui. Il s’agirait, par exemple, de supprimer les dispositions de la loi « Galland » du 13 juillet 1987, ainsi que les effets de l’amendement « Lamassoure » concernant la réglementation du droit de grève. Il faudrait continuer à réaliser l’inventaire de ce type de mesures.

Quelles solutions préconisez-vous ?

A. L. P. : Parmi les chantiers structurels à lancer pourraient figurer ceux de la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, ainsi que de la mobilité. Le fait d’avoir réduit le nombre de corps est, en outre, une très bonne chose. Il faudrait poursuivre dans cette voie. Les multicarrières constituent un autre enjeu. Dans une fonction publique où la durée de vie professionnelle augmente, se posera de plus en plus la question des séquences successives constituant la carrière. Un tel chantier suppose un système de formation continue beaucoup plus développé. Enfin, il faudrait revoir la définition du contractuel.
F. S. : Il faut effectivement simplifier les corps et remettre de l’équité. Les compétences, les missions et les moyens constituent une question centrale et préalable. Un statut rénové doit permettre la mobilité dans l’ensemble de la fonction publique ainsi que des passerelles avec le privé. Sous statut, vous embauchez une personne pour en moyenne quarante-quatre ans de carrière, vingt-cinq ans de retraite et quinze ans de pension de réversion. Certains métiers peuvent tout à fait être externalisés. Ils doivent « sortir » du statut et relever du privé.

2 – Adapter l’action publique et le nombre d’agents

La France compte-t-elle trop de fonctionnaires, malgré les effets de la révision générale des politiques publiques ?

F. S. : Oui. Il faut avoir le courage de dire qu’il y a trop de fonctionnaires en France. Continuer à embaucher n’est pas raisonnable. Je préconiserais plutôt de donner aux agents en place les moyens de mieux travailler. L’Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes. Je suis partisan d’une véritable remise à plat. Le gouvernement fait croire que le nombre de fonctionnaires d’Etat va augmenter dans les grandes régions et les départements, mais ce n’est pas ce qui va être opéré. J’appelle à un véritable management opérationnel, qui passe par la redéfinition des missions et de ce que l’on attend d’une fonction publique aujourd’hui.
A. L. P. : Je suis tout à fait prêt à relever le défi d’un examen critique, contradictoire, du nombre et de la qualité des fonctionnaires. Mais cet examen, personne ne le réalise. Selon certains, il y aurait trop de fonctionnaires en général mais pas assez en particulier ! Personne ne se prononce sur les services à écrémer. Les plus audacieux citent le cas des administrations centrales. Mais cela ne concerne que 45 000 agents sur 5,4 millions ! La question du nombre constitue simplement un argument polémique. Supprimer un fonctionnaire sur deux, par exemple, est un raisonnement simpliste.

Pourquoi le débat sur le périmètre de l’action publique n’a-t-il pas lieu ? Et faut-il s’inspirer des autres pays européens ?

F. S. : Comparaison n’est pas raison. Nous disposons en France d’un modèle social et de santé auquel nous sommes attachés. Mais sa modernisation est la plus grande garantie de son avenir. Je me désespère qu’il soit extrêmement difficile d’engager la haute fonction publique dans ce chemin d’une nouvelle stratégie d’Etat. Face à cette résistance des grands corps au changement, les politiques ont opté pour le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite car il fallait réduire le nombre d’agents et obliger à cette réorganisation. Cette réforme n’a concerné que la présence territoriale de l’Etat. La France s’est arrêtée à mi-chemin. Aujourd’hui, chacun est amené à gérer dans son coin la situation de crise créée par l’absence de gestion globale de la fonction publique.

Parleriez-vous aussi de « résistance » de la haute fonction publique ?

A. L. P : Je ne peux qu’abonder dans ce sens. Les grands corps montrent effectivement un certain conservatisme, qui est tout à fait critiquable. Durant mon mandat ministériel, j’ai tenté d’élaborer une charte des relations entre l’administration et les usagers sur la base d’une codification des lois, en matière de motivation des actes administratifs et d’accès aux documents administratifs. Cette initiative s’est traduite par un décret illisible. En matière de modernisation, la fonction publique peut progresser. Et nous devons y associer les usagers sur des points précis. Pour ce qui est de s’inspirer des autres pays, je signale que la Grande-Bretagne embauche à nouveau à tour de bras…

3 – L’heure de la modernisation

Quel regard portez-vous sur l’action de Marylise Lebranchu ?

F. S. : Le gouvernement mène la fonction publique dans l’impasse.
A. L. P. : Je vous rejoins sur ce point.
F. S. : En effet, il n’exerce pas sa responsabilité qui est de redonner du sens et de fixer un vrai cap pour les agents. La remise en cause de la légitimité de la fonction publique par une certaine frange de l’opinion est inquiétante. Le fonctionnaire ne doit pas devenir un bouc émissaire. J’invite aussi les syndicats à ne pas rester dans des postures défensives.

Comment, concrètement, la fonction publique doit-elle se réformer ?

F. S. : Ce sont les agents exerçant des fonctions d’encadrement intermédiaire qui feront bouger la fonction publique. Je rêve également d’un vrai grand ministère de la Fonction publique qui puisse opérer des harmonisations, dans le respect des diversités, et repenser la gestion des ressources humaines. Il est nécessaire, enfin, de récompenser les agents qui se montrent innovants. J’étais très attaché à la prime de fonctions et de résultats.
A. L. P. : Je n’utilise pas le terme de management pour le public. Il appartient à la mode actuelle dans laquelle le paradigme est l’entreprise privée. Et où, pour être considéré, il faut être manager. Le management est une notion quelque peu dépassée pour la gestion publique. Le but du service public n’est pas la rentabilité, mais la recherche de l’efficacité sociale. Or cette dernière n’est pas seulement monétaire.
F. S. : Animer des équipes dans un contexte de crise violente ne se fait pas spontanément après un concours et l’accès à des responsabilités. La gestion d’équipe est une dimension extrêmement importante dans les temps de crise que nous traversons. Certains peuvent se retrouver en difficulté et en souffrance dans l’exercice de responsabilités.
A. L. P. : Les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. Face à ce constat, il y a en réalité deux solutions : leur retirer des garanties pour qu’ils soient soumis au marché et généraliser la convention collective dans la fonction publique, ou réfléchir à la mise au point d’un statut des salariés du privé. Il ne s’agirait pas de « fonctionnariser » tous les travailleurs, mais de renforcer la base législative du code du travail, de manière à assurer une sécurisation des parcours professionnels. L’objectif serait de faire progresser et de conserver ses droits tout au long de sa carrière.

Dans trente ans, le statut existera-t-il toujours ?

A. L. P. : Le XXIe siècle sera l’âge d’or du service public. Pour la première fois, l’homme prend conscience de la finitude de la planète. Nous allons, de plus, vers une unité de destin du genre humain. De nombreuses questions, comme celles relatives à l’eau et à l’énergie, ne pourront être résolues que grâce à plus d’interdépendance, de coopération et de solidarité. Ces trois mots ont un sens en France : le service public. Je suis très confiant dans l’avenir du service public et de la fonction publique dans notre pays qui, d’une certaine manière, a anticipé sur ce besoin international.
F. S. : Nous sommes face à des mutations profondes, avec une aspiration réelle à conserver un modèle, et à des perspectives de croissance qui ne permettront sans doute pas de le conserver si l’on ne reprécise pas ensemble ce que nous attendons de la fonction publique. L’idée même de réforme, qui est souvent perçue comme une menace, est notre seule chance pour l’avenir du pays.
Focus

Une divergence de fond sur le jour de carence

Si, aux yeux de François Sauvadet, son instigateur, le délai de carence est « une mesure de justice », il existe « des questions plus importantes » selon Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction publique. « C’est un peu humiliant pour les fonctionnaires, dénonce ce dernier. Quand un agent sait pour quoi il travaille, quand il a une justification personnelle de ce qu’il fait, les problèmes de carence ne se posent pas. » « Il est juste de ne pas être rémunéré lorsque l’on est absent une journée de son travail, affirme François Sauvadet (UDI). Si l’on veut que la fonction publique soit légitimée à nouveau, il faut être équitable. » Des parlementaires UMP tentent d’ailleurs actuellement d’instaurer trois jours de carence dans le secteur public.

Aucun commentaire: