mardi 17 mars 2015

Laurent Berger Secrétaire général de la CFDT :"Les mots ont un sens. Il y a de la rigueur, des gens en bavent, mais il n’y a pas d’austérité en France. Nous avons obtenu une hausse des minima sociaux, les salaires n’ont pas baissé… La France n’est pas l’Espagne, le Portugal ou la Grèce. Le problème de la France, c’est le poids des inégalités."


[Interview] “Arrêtons de nourrir la désespérance sociale”

publié le 16/03/2015 à 08H21 par Les Echos
image
Dans un long entretien accordé aux Échos du 16 mars 2015, Laurent Berger revient sur l’ensemble des sujets sociaux du moment, à seulement une semaine du premier tour des élections départementales.
À six jours des élections ­départementales, comment jugez-vous le climat social et politique ?
Le nombre de chômeurs a baissé le mois dernier, tant mieux. Mais le chômage reste très élevé et il y a toujours des plans sociaux. La situation reste difficile et nous ne pouvons pas compter seulement sur une croissance liée à l’euro ou au prix du pétrole pour sortir de cette situation. Il faut davantage investir dans la qualité de l’économie et le social. Donc, ni optimisme mal placé ni misérabilisme, qui nourrit le pessimisme et le Front national.
C’est un message pour la CGT et FO, qui mobilisent le 9 avril contre l’austérité ?
Non  ! Mais les mots ont un sens. Il y a de la rigueur, des gens en bavent, mais il n’y a pas d’austérité en France. Nous avons obtenu une hausse des minima sociaux, les salaires n’ont pas baissé… La France n’est pas l’Espagne, le Portugal ou la Grèce. Le problème de la France, c’est le poids des inégalités.
La progression du FN chez les salariés n’est-elle pas un échec cuisant pour vous aussi ?
Pour contrer la montée du FN, nous devons dire haut et fort que nous n’avons pas la même vision du progrès social, mais aussi faire attention à ne pas nourrir la désespérance sociale en affirmant que tout va mal partout. Sauver des emplois chez Peugeot Motocycle, permettre aux salariés en insertion d’avoir une complémentaire santé, fusionner la prime pour l’emploi et le RSA dans un dispositif ouvert aux jeunes, durcir les sanctions contre les abus de salariés détachés, c’est combattre le FN. Ce n’est pas très simple mais nous, à la CFDT, nous ne sommes pas dans la posture. Nous obtenons des résultats concrets.
Il y a un ministre au ­gouvernement qui pousse pour faire bouger les lignes : Emmanuel Macron, avec sa proposition sur les 35 heures…
Si c’est pour faire des accords qui permettent à des entreprises sans problèmes de s’affranchir du droit du travail, c’est niet. C’est de l’idéologie. En revanche, qu’il faille réformer le dialogue social, ça oui. La CFDT regrette que cette négociation n’ait pas abouti avec le patronat. Certains de ses membres sont dans une posture politique, trop occupés à régler des comptes avec le gouvernement.
La CGT revendique les 32 heures. Et vous ?
Je me rappelle quand, jeune ­militant, je trouvais souvent la CGT contre nous sur les 35 heures… La CFDT n’est pas sur une logique purement hebdomadaire mais sur l’articulation des temps de travail et hors travail tout au long de la vie. Il faut progresser sur les droits qui changent le quotidien des gens.
Où en sont vos relations avec la CGT ?
Nous ne sommes pas en guerre. Je m’entends très bien avec Philippe Martinez, nous discutons régu­lièrement. Nous assumons les ­différences entre nos deux types de syndicalisme. La CFDT est à la recherche du compromis possible car si le syndicalisme ne fait pas la preuve de son utilité, à quoi sert-il ?
Vous refusez les accords offensifs sur les 35 heures. Mais sur les accords défensifs, n’y a-t-il pas des verrous à faire sauter ?
Un bilan doit être fait à partir duquel on peut envisager de discuter. On a mis tant de conditions dans la loi de 2013 que très peu d’accords ont été signés. Mais on oublie que d’autres types d’accords – dits de compétitivité – se sont développés dans le cadre actuel du droit du travail, chez Renault ou chez Thyssen par exemple. Et la loi de sécurisation a aussi permis d’améliorer les plans de sauvegarde de l’emploi pour les salariés et les employeurs. Notre priorité, c’est la construction d’un compte social personnel pour chaque salarié. On a progressé avec le compte personnel de formation, les droits rechargeables au chômage dont les défauts vont être corrigés, le compte pénibilité. Mais il y a encore des trous dans la raquette, chez les jeunes, les seniors et les chômeurs de longue durée.
Un CDI lié aux résultats de l’entreprise, dans les TPE, cela vous paraît pertinent ?
Pour favoriser les embauches, créer de nouveaux contrats de travail n’est pas la solution miracle et tout licenciement doit être obligatoirement motivé.
Le patronat pense qu’il va obtenir des aménagements concernant la pénibilité. Y êtes-vous favorable ?
Les quatre premiers facteurs s’appliquent déjà. Les six autres s’appliqueront en 2016. La CFDT tient à ce que cela reste une mesure individuelle. Et on se battra jusqu’au bout pour que ce soit le cas. La pénibilité, c’est une réalité que les salariés vivent dans leur chair.
Les discussions se poursuivent vendredi à propos des retraites complémentaires. Faites-vous de la hausse des cotisations une condition sine qua non à un accord, comme d’autres syndicats ?
Ce n’est ni une demande de la CFDT ni une mesure que nous excluons.
Quid d’un abattement sur les pensions entre 62 et 67 ans ?
Avant de se prononcer, la CFDT entend savoir ce que les autres acteurs sont prêts à accepter pour trouver un compromis. Notre priorité est de préserver les basses pensions. Ensuite, nous sommes prêts à assumer nos responsabilités, mais nous mettons une condition : il n’est pas question d’instrumentaliser les régimes complémentaires qui n’ont pas à donner le « la » d’une éventuelle évolution des retraites.
Que pensez-vous du projet de loi sur la santé, et de la mobilisation qu’il suscite du côté des médecins ?
Le tiers payant est une avancée, les médecins doivent arrêter de faire croire qu’ils n’en veulent pas pour le bien-être de leurs patients. Les professionnels de santé libéraux ne veulent pas être des fonctionnaires, mais ils doivent comprendre qu’ils sont rémunérés grâce à un système socialisé et mutualisé, et que, dès lors, certaines conditions d’exercice peuvent légitimement leur être fixées.
La réforme des prud’hommes contenue dans le projet de loi Macron va-t-elle dans le bon sens ?
Nous sommes pratiquement les seuls parmi les partenaires sociaux à le dire, mais oui, il y a des choses qui vont dans le bon sens (formation des juges, conciliation). Le référentiel pour fixer les indemnités perçues par le salarié, ça fait débat chez nous, mais tant que ce n’est pas un référentiel obligatoire et que le juge peut s’en affranchir, ça nous va.
Le gouvernement presse les partenaires sociaux d’anticiper la négociation sur l’assurance-chômage pour redresser les comptes. Y êtes-vous prêt ?
Le gouvernement n’a pas à nous donner de leçons, lui qui, par ses décisions concernant les intermittents du spectacle, a fait perdre une partie des économies prévues par notre précédent accord. Nous allons prochainement réunir un groupe de travail pour faire le bilan de cet accord et préparer la négociation, mais pour l’heure nous restons sur le calendrier prévu, à savoir l’échéance du 1er juillet 2016 pour la prochaine convention.
Emmanuel Macron souhaite que la dégressivité des allocations fasse partie des pistes discutées. Plus généralement, êtes-vous prêt à accepter une révision des droits des chômeurs, alors que le chômage reste à un niveau très élevé ?
La situation a même beaucoup empiré depuis la dernière négociation. La finalité ne peut pas être simplement de faire des économies. L’objectif est d’indemniser au mieux les chômeurs, en tenant compte de la situation financière du régime, mais aussi de la situation réelle des personnes et en les aidant à la reprise d’emploi. Mais pas avec une approche punitive. Sur l’assurance-chômage comme sur le reste, la logique ne peut être seulement économique ou budgétaire. Derrière tout ça, il y a les gens et du progrès social à construire.

Aucun commentaire: